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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/437

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même. Ce vieux truand n’est-il pas venu me demander si je n’avais pas emporté hier par mégarde une chaîne de rubis qu’il voulait me vendre ? Pasques Dieu ! je ne vole pas ce que je puis prendre, lui ai-je dit. — Et il a eu peur ? fit le barbier. — Les avares n’ont peur que d’une seule chose, répondit le roi. Mon compère le torçonnier sait bien que je ne le dépouillerai pas sans raison, autrement je serais injuste, et je n’ai jamais rien fait que de juste et de nécessaire. — Cependant le vieux malandrin vous surfait, reprit le barbier. — Tu voudrais bien que ce fût vrai, hein ? dit le roi en jetant un malicieux regard au barbier. — Ventre Mahom, sire, la succession serait belle à partager entre vous et le diable. — Assez, fit le roi. Ne me donne pas de mauvaises idées. Mon compère est un homme plus fidèle que tous ceux dont j’ai fait la fortune, parce qu’il ne me doit rien, peut-être.

Depuis deux ans, maître Cornélius vivait donc seul avec sa vieille sœur, qui passait pour sorcière. Un tailleur du voisinage prétendait l’avoir souvent vue, pendant la nuit, attendant sur les toits l’heure d’aller au sabbat. Ce fait semblait d’autant plus extraordinaire que le vieil avare enfermait sa sœur dans une chambre dont les fenêtres étaient garnies de barreaux de fer. En vieillissant, Cornélius toujours volé, craignant toujours d’être dupé par les hommes, les avait tous pris en haine, excepté le roi, qu’il estimait beaucoup. Il était tombé dans une excessive misanthropie, mais comme chez la plupart des avares, sa passion pour l’or, l’assimilation de ce métal avec sa substance avait été de plus en plus intime, et croissait d’intensité par l’âge. Sa sœur elle-même excitait ses soupçons, quoiqu’elle fût peut-être plus avare et plus économe que son frère qu’elle surpassait en inventions de ladrerie. Aussi leur existence avait-elle quelque chose de problématique et de mystérieux. La vieille femme prenait si rarement du pain chez le boulanger, elle apparaissait si peu au marché, que les observateurs les moins crédules avaient fini par attribuer à ces deux êtres bizarres la connaissance de quelque secret de vie. Ceux qui se mêlaient d’alchimie disaient que maître Cornélius savait faire de l’or. Les savants prétendaient qu’il avait trouvé la panacée universelle. Cornélius était pour beaucoup de campagnards, auxquels les gens de la ville en parlaient, un être chimérique, et plusieurs d’entre eux venaient voir la façade de son hôtel par curiosité.