Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/530

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de ces vieilles et célèbres familles de bourgeoisie parisienne d’où sortirent les Pasquier, les Molé, les Miron, les Séguier, Lamoignon, du Tillet, Lecoigneux, Lescalopier, les Goix, les Arnauld, les fameux échevins et les grands prévôts des marchands parmi lesquels le trône trouva tant de défenseurs. Aussi, pour que Christophe pût soutenir un jour son rang, voulait-il le marier à la fille du plus riche orfévre de la Cité, son compère Lallier, dont le neveu devait présenter à Henri IV les clefs de Paris. Le dessein le plus profondément enfoncé dans le cœur de ce bourgeois était d’employer la moitié de sa fortune et la moitié de celle de l’orfévre à l’acquisition d’une grande et belle terre seigneuriale, affaire longue et difficile en ce temps. Mais ce profond politique connaissait trop bien son temps pour ignorer les grands mouvements qui se préparaient : il voyait bien et voyait juste, en prévoyant la division du royaume en deux camps. Les supplices inutiles de la place de l’Estrapade, l’exécution du couturier de Henri II, celle plus récente du conseiller Anne du Bourg, la connivence actuelle des grands seigneurs, celle d’une favorite, sous le règne de François Ier, avec les Réformés, étaient de terribles indices. Le pelletier avait résolu de rester, quoi qu’il arrivât, catholique, royaliste et parlementaire ; mais il lui convenait, in petto, que son fils appartînt à la Réformation. Il se savait assez riche pour racheter Christophe s’il était par trop compromis ; puis si la France devenait calviniste, son fils pouvait sauver sa famille, dans une de ces furieuses émeutes parisiennes dont le souvenir vivait dans la bourgeoisie, et qu’elle devait recommencer pendant quatre règnes. Mais ces pensées, de même que Louis XI, le vieux pelletier ne se les disait pas à lui-même, sa profondeur allait jusqu’à tromper sa femme et son fils. Ce grave personnage était depuis longtemps le chef du plus riche, du plus populeux quartier de Paris, celui du centre, sous le titre de quartenier qui devait devenir si célèbre quinze ans plus tard. Vêtu de drap comme tous les bourgeois prudents qui obéissaient aux ordonnances somptuaires, le sieur Lecamus (il tenait à ce titre accordé par Charles V aux bourgeois de Paris, et qui leur permettait d’acheter des seigneuries et d’appeler leurs femmes du beau nom de Demoiselle), n’avait ni chaîne d’or, ni soie, mais un bon pourpoint à gros boutons d’argent noircis, des chausses drapées montant au-dessus du genou, et des souliers de cuirs agrafés. Sa chemise de fine toile sortait en gros bouillons, selon la mode du temps, par sa veste en-