Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/557

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— Ah ! nous n’avons pas à nous un homme de la trempe de ce la Renaudie, s’écria le cardinal, c’est un vrai Catilina.

— De tels hommes agissent toujours pour leur propre compte, répondit le duc. N’avais-je pas deviné La Renaudie ? je l’ai comblé de faveurs, je l’ai fait évader lors de sa condamnation par le parlement de Bourgogne, je l’ai fait rentrer dans le royaume en obtenant la révision de son procès, et je comptais tout faire pour lui pendant qu’il ourdissait contre nous une conspiration diabolique. Le drôle a rallié les Protestants d’Allemagne aux hérétiques de France en conciliant les difficultés survenues à propos de dogme entre Luther et Calvin. Il a rallié les grands seigneurs mécontents au parti de la Réforme, sans leur faire ostensiblement abjurer le catholicisme. Il avait, dès l’an dernier, trente capitaines à lui ! Il était partout à la fois, à Lyon, en Languedoc, à Nantes ! Enfin il a fait rédiger cette consultation colportée dans toute l’Allemagne, où les théologiens déclarent que l’on peut recourir à la force pour soustraire le roi à notre domination et qui se colporte de ville en ville. En le cherchant partout, on ne le rencontre nulle part ! Cependant je ne lui ai fait que du bien ! Il va falloir l’assommer comme un chien, ou essayer de lui faire un pont d’or pour qu’il entre dans notre maison.

— La Bretagne, le Languedoc, tout le royaume est travaillé pour nous donner un assaut mortel, dit le cardinal. Après la fête d’hier, j’ai passé le reste de la nuit à lire tous les renseignements que m’ont envoyés mes Religieux ; mais il n’y a de compromis que des gentilshommes pauvres, des artisans, des gens qu’il est indifférent de pendre ou de laisser en vie. Les Coligny, Condé, ne paraissent pas encore, quoiqu’ils tiennent les fils de cette conspiration.

— Aussi, dit le duc, dès que cet avocat, cet Avenelles a vendu la mèche, ai-je dit à Braguelonne de laisser aller les conspirateurs jusqu’au bout, ils sont sans défiance, ils croient nous surprendre, peut-être alors les chefs se montreront-ils. Mon avis serait de nous laisser vaincre pendant quarante-huit heures…

— Ce serait trop d’une demi-heure, dit le cardinal effrayé.

— Voilà comment tu es brave, répondit le Balafré.

Le cardinal répliqua sans s’émouvoir : – Que le prince de Condé soit ou non compromis, si nous sommes sûrs qu’il soit le chef, abattons cette tête, et nous serons tranquilles. Nous n’avons pas tant besoin de soldats que de juges pour cette besogne, et ja-