Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/576

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Elle voyait l’un des plus grands capitaines de ce siècle substitué dans la matinée, à l’instant, à son fils, au roi de France, sous le terrible titre de lieutenant-général du royaume. Devant ce péril, elle était seule, sans action, sans défense. Aussi pouvait-on la comparer, dans son vêtement de deuil, qu’elle ne quitta jamais depuis la mort de Henri II, à un fantôme, tant sa figure pâle était immobile à force de réflexion. Son œil noir nageait dans cette indécision tant reprochée aux grands politiques, et qui chez eux vient de l’étendue même du coup d’œil par lequel ils embrassent toutes les difficultés, les compensant l’une par l’autre, et additionnant, pour ainsi dire, toutes les chances avant de prendre un parti. Ses oreilles tintaient, son sang s’agitait, et néanmoins elle demeurait calme, digne, tout en mesurant la profondeur de l’abîme politique au-dessus de l’abîme réel qui s’étendait sous ses pieds. Après celle de l’arrestation du Vidame de Chartres, cette journée était la seconde de ces terribles journées qui se trouvèrent en si grand nombre dans le reste de sa vie royale ; mais ce fut aussi sa dernière faute à l’école du pouvoir. Quoique le sceptre parût fuir ses mains, elle voulait le saisir et le saisit par un effet de cette puissance de volonté qui ne s’était lassée ni des dédains de son beau-père François Ier et de sa cour, où elle avait été peu de chose, quoique dauphine, ni des constants refus de Henri II, ni de la terrible opposition de Diane de Poitiers, sa rivale. Un homme n’eût rien compris à cette reine en échec ; mais la blonde Marie, si fine, si spirituelle, si jeune fille et déjà si instruite, l’examinait du coin de l’œil en affectant de fredonner un air italien et prenant une contenance insouciante. Sans deviner les orages d’ambition contenue qui causaient une légère sueur froide à la Florentine, la jolie Écossaise au visage mutin savait que l’élévation de son oncle le duc de Guise causait une rage intérieure à Catherine. Or, rien ne l’amusait tant que d’espionner sa belle-mère, en qui elle voyait une intrigante, une parvenue abaissée toujours prête à se venger. Le visage de l’une était grave et sombre, un peu terrible, à cause de cette lividité des Italiennes qui, durant le jour, fait ressembler leur teint à de l’ivoire jaune, quoiqu’il redevienne éclatant aux bougies, tandis que le visage de l’autre était frais et gai. À seize ans, la tête de Marie Stuart avait cette blancheur de blonde qui la rendit si célèbre. Son frais, son piquant visage si purement coupé, brillait de cette malice d’enfant exprimée franchement par la régularité de