Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/604

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avait détachés le cardinal de Lorraine, et parmi lesquels ces gentilshommes craignirent sans doute de trouver des espions du Lorrain. Afin de se délivrer des persécutions de leurs antagonistes, ils entonnèrent un psaume mis en vers français par Clément Marot. Calvin, comme on sait, avait décrété de prier Dieu dans la langue de chaque pays, autant par raison que pour attaquer le culte romain. Ce fut une coïncidence touchante pour ceux qui, dans la foule, plaignaient ces gentilshommes, que de leur entendre dire ce verset, au moment où la cour arriva :


Dieu nous soit doux et favorable,
Nous bénissant par sa bonté,
Et de son visage adorable
Nous fasse luire la clarté.


Tous les regards des Réformés se portèrent sur leur chef, le prince de Condé, qui fut, à dessein, placé entre la reine Marie et le duc d’Orléans. La reine Catherine de Médicis se trouvait après son fils, et avait le cardinal à sa gauche. Le nonce du pape était debout derrière les reines. Le lieutenant-général du royaume était à cheval au bas de l’estrade avec deux maréchaux de France et ses capitaines. Quand le prince de Condé parut, tous les gentilshommes qui devaient être décapités, et qui le connaissaient, le saluèrent, et l’intrépide bossu leur rendit ce salut.

— Il est difficile, dit-il au duc d’Orléans, de ne pas être poli avec des gens qui vont mourir.

Les deux autres tribunes furent remplies par les invités, par les courtisans et par les personnes de service à la cour. Ce fut enfin le monde du château de Blois, qui passait ainsi d’une fête aux supplices, comme plus tard il passa des plaisirs de la cour aux périls de la guerre avec une facilité qui sera toujours, pour les étrangers, un des ressorts de leur politique en France. Le pauvre Syndic des Pelletiers de Paris éprouva la joie la plus vive en ne voyant pas son fils parmi les cinquante-sept gentilshommes condamnés à mourir. À un signe du duc de Guise, le greffier, placé sur l’échafaud, cria sur-le-champ à haute voix : — Jean-Louis-Albéric, baron de Raunay, coupable d’hérésie, de crime de lèze-majesté et d’attaque à main armée contre la personne du Roi.

Un grand bel homme monta d’un pied sûr à l’échafaud, salua le