Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/619

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opération à laquelle s’était prêté monsieur de Pienne. Enfin, la troisième a eu lieu à Paris, sur un gentilhomme qui se porte à merveille. Le trépan, tel est le nom donné à cette invention, est encore peu connu. Les malades y répugnent, à cause de l’imperfection de l’instrument, que j’ai fini par améliorer. Je m’essaie donc sur cette tête, afin de ne pas faillir demain sur celle du roi.

— Tu dois être bien sûr de ton fait, car ta tête serait en danger au cas où…

— Je gagerais ma vie qu’il sera guéri, répondit Ambroise avec la sécurité de l’homme de génie. Ah ! mon vieil ami, qu’est-ce que trouer la tête avec précaution ? n’est-ce pas faire ce que les soldats font tous les jours à la guerre sans en prendre aucune ?

— Mon enfant, dit l’audacieux bourgeois, sais-tu que sauver le roi, c’est perdre la France ? Sais-tu que cet instrument aura placé la couronne des Valois sur la tête du Lorrain qui se dit héritier de Charlemagne ? Sais-tu que la chirurgie et la politique sont brouillées en ce moment ? Oui, le triomphe de ton génie est la perte de ta religion. Si les Guise gardent la régence, le sang des Réformés va couler à flots ? Sois plus grand citoyen que grand chirurgien, et dors demain la grasse matinée en laissant la chambre libre aux médecins qui, s’ils ne guérissent pas le roi, guériront la France !

— Moi ! s’écria Paré, que je laisse périr un homme quand je puis le sauver ! Non ! non, dussé-je être pendu comme fauteur de Calvin, j’irai de bonne heure à la cour. Ne sais-tu pas que la seule grâce que je veux demander, après avoir sauvé le roi, est la vie de ton Christophe. Il y aura certes un moment où la reine Marie ne me refusera rien.

— Hélas ! mon ami, reprit Lecamus, le petit roi n’a-t-il pas refusé la grâce du prince de Condé à la princesse ? Ne tue pas ta religion en faisant vivre celui qui doit mourir.

— Ne vas-tu pas te mêler de chercher comment Dieu compte ordonner l’avenir ? s’écria Paré. Les honnêtes gens n’ont qu’une devise : Fais ce que dois, advienne que pourra ! Ainsi ai-je fait au siége de Calais en mettant le pied sur la face du Grand-Maître : je courais la chance d’être écharpé par tous ses amis, par ses serviteurs, et je suis aujourd’hui chirurgien du roi ; enfin, je suis de la Réforme, et j’ai messieurs de Guise pour amis. Je sauverai le roi ! s’écria le chirurgien avec le saint enthousiasme de la conviction que donne le génie, et Dieu sauvera la France.