Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/662

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chefs se retournent contre le nouveau maître à l’égal duquel ils ont marché si longtemps. Christophe, le seul qui se souvînt de ses souffrances, se mettait déjà parmi les chefs de la Réformation en s’en proclamant l’un des martyrs. Lecamus, ce vieux loup du commerce, si fin et si perspicace, avait fini par deviner les secrètes pensées de son fils ; aussi toutes ses manœuvres étaient-elles basées sur l’hésitation naturelle à laquelle Christophe était livré.

— Ne serait-ce pas beau, disait-il la veille à Babette en famille, d’être la femme d’un conseiller au Parlement. On vous appellerait madame !

— Vous êtes fou, mon compère ! dit Lallier. Où prendriez-vous d’abord dix mille écus de rentes en fonds de terre, que doit avoir un conseiller, et de qui achèteriez-vous une charge ? Il faudrait que la reine-mère et régente n’eût que cela en tête pour que votre fils entrât au Parlement, et il sent un peu trop le fagot pour qu’on l’y mette.

— Que donneriez-vous pour voir votre fille la femme d’un conseiller ?

— Vous voulez voir le fond de ma bourse, vieux finaud ! dit Lallier.

Conseiller au parlement ! Ce mot ravagea la cervelle de Christophe.

Longtemps après le colloque, un matin que Christophe contemplait la rivière qui lui rappelait et la scène par laquelle commence cette histoire et le prince de Condé, la Renaudie, et Chaudieu, le voyage à Blois, enfin toutes ses espérances, le syndic vint s’asseoir à côté de son fils en cachant mal un air joyeux sous cette gravité affectée.

— Mon fils, dit-il, après ce qui s’est passé entre toi et les chefs du Tumulte d’Amboise, ils te devaient assez pour que ton avenir regardât la maison de Navarre.

— Oui, dit Christophe.

— Hé ! bien, reprit le père, j’ai fait positivement demander pour toi la permission d’acheter une charge de justice dans le Béarn. Notre bon ami Paré s’est chargé de remettre les lettres que j’ai écrites en ton nom au prince de Condé et à la reine Jeanne. Tiens, lis la réponse de monsieur de Pibrac, vice-chancelier de Navarre.

« Au sieur Lecamus, syndic du corps des Pelletiers.

« Monseigneur le prince de Condé me charge de vous dire le