Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/668

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Le vieux Lecamus eut l’attention de donner au roi un gobelet d’argent qu’il avait obtenu de Benvenuto Cellini, lors de son séjour en France à l’hôtel de Nesle, et qui n’avait pas coûté moins de deux mille écus.

— Oh ! ma mère, le beau travail ! s’écria le jeune roi en levant le gobelet par le pied.

— C’est de Florence, répondit Catherine.

— Pardonnez-moi, madame, dit Lecamus, c’est fait en France par un Florentin. Ce qui est de Florence serait à la reine, mais ce qui est fait en France est au roi.

— J’accepte, bonhomme, s’écria Charles IX, et désormais ce sera mon gobelet.

— Il est assez bien, dit la reine en examinant ce chef-d’œuvre, pour le comprendre dans les joyaux de la couronne. — Eh ! bien, maître Ambroise, dit la reine à l’oreille de son chirurgien en désignant Christophe, l’avez-vous bien soigné ? marchera-t-il ?

— Il volera, dit en souriant le chirurgien. Ah ! vous nous l’avez bien finement débauché.

— Faute d’un moine, l’abbaye ne chôme pas, répondit la reine avec cette légèreté qu’on lui a reprochée et qui n’était qu’à la surface.

Le souper fut gai, la reine trouva Babette jolie, et, en grande reine qu’elle fut toujours, elle lui passa au doigt un de ses diamants afin de compenser la perte que le gobelet faisait chez les Lecamus. Le roi Charles IX, qui depuis prit peut-être trop de goût à ces sortes d’invasions chez ses bourgeois, soupa de bon appétit ; puis, sur un mot de son nouveau gouverneur, qui, dit-on, avait charge de lui faire oublier les vertueuses instructions de Cypierre, il entraîna le premier président, le vieux conseiller démissionnaire, le secrétaire d’État, le curé, le notaire et les bourgeois à boire si druement, que la reine Catherine sortit au moment où elle vit la gaieté sur le point de devenir bruyante. Au moment où la reine se leva, Christophe, son père et les deux femmes prirent des flambeaux et l’accompagnèrent jusque sur le seuil de la boutique. Là, Christophe osa tirer la reine par sa grande manche et lui fit un signe d’intelligence. Catherine s’arrêta, renvoya le vieux Lecamus et les deux femmes par un geste, et dit à Christophe : — Quoi ?

— Si vous pouvez, madame, tirer parti de ceci, dit-il en parlant à l’oreille de la reine, sachez que le duc de Guise est visé par des assassins…