Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/72

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

discussions, qui cessèrent à l’aspect du ténor. Dans un coin, près d’une des fenêtres donnant sur la galerie, sombre, l’œil fixe, les membres immobiles, le prince offrait une horrible image du désespoir.

— Ce fou, dit en français le médecin à Vendramin, ne sait pas ce qu’il veut ! Il se rencontre au monde un homme qui peut séparer une Massimilla Doni de toute la création, en la possédant dans le ciel, au milieu des pompes idéales qu’aucune puissance ne peut réaliser ici-bas. Il peut voir sa maîtresse toujours sublime et pure, toujours entendre en lui-même ce que nous venons d’écouter au bord de la mer, toujours vivre sous le feu de deux yeux qui lui font l’atmosphère chaude et dorée que Titien a mise autour de sa vierge dans son Assomption, et que Raphaël le premier avait inventée, après quelque révélation, pour le Christ transfiguré, et cet homme n’aspire qu’à barbouiller cette poésie ! Par mon ministère, il réunira son amour sensuel et son amour céleste dans cette seule femme ! Enfin il fera comme nous tous, il aura une maîtresse. Il possédait une divinité, il en veut faire une femelle ! Je vous le dis, monsieur, il abdique le ciel. Je ne réponds pas que plus tard il ne meure de désespoir. O figures féminines, finement découpées par un ovale pur et lumineux, qui rappelez les créations où l’art a lutté victorieusement avec la nature ! Pieds divins qui ne pouvez marcher, tailles sveltes qu’un souffle terrestre briserait, formes élancées qui ne concevront jamais, vierges entrevues par nous au sortir de l’enfance, admirées en secret, adorées sans espoir, enveloppées des rayons de quelque désir infatigable, vous qu’on ne revoit plus, mais dont le sourire domine toute notre existence, quel pourceau d’Epicure a jamais voulu vous plonger dans la fange de la terre ! Eh ! monsieur, le soleil ne rayonne sur la terre et ne l’échauffe que parce qu’il est à trente-trois millions de lieues ; allez auprès, la science vous avertit qu’il n’est ni chaud ni lumineux, car la science sert à quelque chose, ajouta-t-il en regardant Capraja.

— Pas mal pour un médecin français ! dit Capraja en frappant un petit coup de main sur l’épaule de l’étranger. Vous venez d’expliquer ce que l’Europe comprend le moins de Dante, sa Bice ! ajouta-t-il. Oui, Béatrix, cette figure idéale, la reine des fantaisies du poète, élue entre toutes, consacrée par les larmes, déifiée par le souvenir, sans cesse rajeunie par des désirs inexaucés !

— Mon prince, disait le duc à l’oreille d’Emilio, venez souper