Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/104

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lonnes de fumée se dressaient auprès des colonnes antiques dont les marbres étincelaient de blancheur au sein de la nuit ; les lignes de l’horizon se dessinaient encore à travers les vapeurs du soir, tout était harmonie et mystère. La nature ne me disait pas adieu, elle voulait me garder. Ah ! c’était tout pour moi : ma mère et mon enfant, mon épouse et ma gloire ! Les cloches, elles-mêmes, pleuraient alors ma proscription. Ô terre merveilleuse ! elle est aussi belle que le ciel ! Depuis cette heure, j’ai eu l’univers pour cachot. Ma chère patrie, pourquoi m’as-tu proscrit ? — Mais j’y triompherai ! s’écria-t-il en jetant ce mot avec un tel accent de conviction, et d’un timbre si éclatant, que le batelier tressaillit en croyant entendre le son d’une trompette.

Le vieillard était debout, dans une attitude prophétique et regardait dans les airs vers le sud, en montrant sa patrie à travers les régions du ciel. La pâleur ascétique de son visage avait fait place à la rougeur du triomphe, ses yeux étincelaient, il était sublime comme un lion hérissant sa crinière.

— Et toi, pauvre enfant ! reprit-il en regardant Godefroid dont les joues étaient bordées par un chapelet de gouttes brillantes, as-tu donc comme moi étudié la vie sur des pages sanglantes ? Pourquoi pleurer ? Que peux-tu regretter à ton âge ?

— Hélas ! dit Godefroid, je regrette une patrie plus belle que toutes la patries de la terre, une patrie que je n’ai point vue et dont j’ai souvenir. Oh ! si je pouvais fendre les espaces à plein vol, j’irais…

— Où ? dit le Proscrit.

— Là-haut, répondit l’enfant.

En entendant ce mot, l’étranger tressaillit, arrêta son regard lourd sur le jeune homme, et le fit taire. Tous deux ils s’entretinrent par une inexplicable effusion d’âme en écoutant leurs vœux au sein d’un fécond silence, et voyagèrent fraternellement comme deux colombes qui parcourent les cieux d’une même aile, jusqu’au moment où la barque, en touchant le sable du Terrain, les tira de leur profonde rêverie. Tous deux, ensevelis dans leurs pensées, marchèrent en silence vers la maison du sergent.

— Ainsi, disait en lui-même le grand étranger, ce pauvre petit se croit un ange banni du ciel. Et qui parmi nous aurait le droit de le détromper ? Sera-ce moi ? Moi qui suis enlevé si souvent par un pouvoir magique loin de la terre ; moi qui appartiens à Dieu ; moi