Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/134

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Au collége, ainsi que dans la société, le fort méprise déjà le faible, sans savoir en quoi consiste la véritable force. Ce n’était rien encore. Point de gants aux mains. Si par hasard les parents, l’infirmière ou le directeur en faisaient donner aux plus délicats d’entre nous, les loustics ou les grands de la classe mettaient les gants sur le poêle, s’amusaient à les dessécher, à les gripper ; puis, si les gants échappaient aux fureteurs, ils se mouillaient, se recroquevillaient faute de soin. Il n’y avait pas de gants possibles. Les gants paraissaient être un privilége, et les enfants veulent se voir égaux.

Ces différents genres de douleur assaillirent Louis Lambert. Semblable aux hommes méditatifs qui, dans le calme de leurs rêveries, contractent l’habitude de quelque mouvement machinal, il avait la manie de jouer avec ses souliers et les détruisait en peu de temps. Son teint de femme, la peau de ses oreilles, ses lèvres se gerçaient au moindre froid. Ses mains si molles, si blanches, devenaient rouges et turgides. Il s’enrhumait constamment. Louis fut donc enveloppé de souffrances jusqu’à ce qu’il eût accoutumé sa vie aux mœurs vendômoises. Instruit à la longue par la cruelle expérience des maux, force lui fut de songer à ses affaires, pour me servir d’une expression collégiale. Il lui fallut prendre soin de sa baraque, de son pupitre, de ses habits, de ses souliers ; ne se laisser voler ni son encre, ni ses livres, ni ses cahiers, ni ses plumes ; enfin, penser à ces mille détails de notre existence enfantine, dont s’occupaient avec tant de rectitude ces esprits égoïstes et médiocres auxquels appartiennent infailliblement les prix d’excellence ou de bonne conduite ; mais que négligeait un enfant plein d’avenir, qui, sous le joug d’une imagination presque divine, s’abandonnait avec amour au torrent de ses pensées. Ce n’est pas tout. Il existe une lutte continuelle entre les maîtres et les écoliers, lutte sans trêve, à laquelle rien n’est comparable dans la société, si ce n’est le combat de l’Opposition contre le Ministère dans un gouvernement représentatif. Mais les journalistes et les orateurs de l’Opposition sont peut-être moins prompts à profiter d’un avantage, moins durs à reprocher un tort, moins âpres dans leurs moqueries, que ne le sont les enfants envers les gens chargés de les régenter. À ce métier, la patience échapperait à des anges. Il n’en faut donc pas trop vouloir à un pauvre préfet d’études, peu payé, partant peu sagace, d’être parfois injuste ou de s’emporter. Sans cesse épié par une multitude de regards moqueurs, environné de piéges, il se venge