Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/160

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— Et moi, lui dis-je, que deviendrai-je ? ma situation n’est-elle pas plus affreuse ? je n’ai rien là pour me consoler, ajoutai-je en me frappant le front.

Il hocha la tête par un mouvement empreint d’une grâce pleine de tristesse, et nous nous quittâmes. En ce moment, Louis Lambert avait cinq pieds deux pouces, il n’a plus grandi. Sa physionomie, devenue largement expressive, attestait la bonté de son caractère. Une patience divine développée par les mauvais traitements, une concentration continuelle exigée par sa vie contemplative, avaient dépouillé son regard de cette audacieuse fierté qui plaît dans certaines figures, et par laquelle il savait accabler nos Régents. Sur son visage éclataient des sentiments paisibles, une sérénité ravissante que n’altérait jamais rien d’ironique ou de moqueur, car sa bienveillance native tempérait la conscience de sa force et de sa supériorité. Il avait de jolies mains, bien effilées, presque toujours humides. Son corps était une merveille digne de la sculpture ; mais nos uniformes gris de fer à boutons dorés, nos culottes courtes, nous donnaient une tournure si disgracieuse, que le fini des proportions de Lambert et sa morbidesse ne pouvaient s’apercevoir qu’au bain. Quand nous nagions dans notre bassin du Loir, Louis se distinguait par la blancheur de sa peau, qui tranchait sur les différents tons de chair de nos camarades, tous marbrés par le froid ou violacés par l’eau. Délicat de formes, gracieux de pose, doucement coloré, ne frissonnant pas hors de l’eau, peut-être parce qu’il évitait l’ombre et courait toujours au soleil, Louis ressemblait à ces fleurs prévoyantes qui ferment leurs calices à la bise, et ne veulent s’épanouir que sous un ciel pur. Il mangeait très-peu, ne buvait que de l’eau ; puis, soit par instinct, soit par goût, il se montrait sobre de tout mouvement qui voulait une dépense de force ; ses gestes étaient rares et simples comme le sont ceux des Orientaux ou des Sauvages, chez lesquels la gravité semble être un état naturel. Généralement, il n’aimait pas tout ce qui ressemblait à de la recherche pour sa personne. Il penchait assez habituellement sa tête à gauche, et restait si souvent accoudé, que les manches de ses habits neufs étaient promptement percées. À ce léger portrait de l’homme, je dois ajouter une esquisse de son moral, car je crois aujourd’hui pouvoir impartialement en juger. Quoique naturellement religieux, Louis n’admettait pas les minutieuses pratiques de l’Église romaine ; ses idées sympathisaient plus particuliè-