Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/232

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— Je croyais, répondit respectueusement la jeune fille, que vous vouliez penser tout seul.

— Hâtons-nous, ma Minette, la nuit va venir, reprit-il.

Minna tressaillit en entendant la voix, pour ainsi dire nouvelle, de son guide : voix pure comme celle d’une jeune fille et qui dissipa les lueurs fantastiques du songe à travers lequel jusqu’alors elle avait marché. Séraphîtüs commençait à laisser sa force mâle et à dépouiller ses regards de leur trop vive intelligence. Bientôt ces deux jolies créatures cinglèrent sur le Fiord, atteignirent la prairie de neige qui se trouvait entre la rive du golfe et la première rangée des maisons de Jarvis ; puis, pressées par la chute du jour, elles s’élancèrent en montant vers le presbytère, comme si elles eussent gravi les rampes d’un immense escalier.

— Mon père doit être inquiet, dit Minna.

— Non, répondit Séraphîtüs.

En ce moment, le couple était devant le porche de l’humble demeure où monsieur Becker, le pasteur de Jarvis, lisait en attendant sa fille pour le repas du soir.

— Cher monsieur Becker, dit Séraphîtüs, je vous ramène Minna saine et sauve.

— Merci, mademoiselle, répondit le vieillard en posant ses lunettes sur le livre. Vous devez être fatiguées.

— Nullement, dit Minna qui reçut en ce moment sur le front le souffle de sa compagne.

— Ma petite, voulez-vous après-demain soir venir chez moi prendre du thé ?

— Volontiers, chère.

— Monsieur Becker, vous me l’amènerez.

— Oui, mademoiselle.

Séraphîtüs inclina la tête par un geste coquet, salua le vieillard, partit, et en quelques instants arriva dans la cour du château suédois. Un serviteur octogénaire apparut sous l’immense auvent en tenant une lanterne. Séraphîtüs quitta ses patins avec la dextérité gracieuse d’une femme, s’élança dans le salon du château, tomba sur un grand divan couvert de pelleteries, et s’y coucha.

— Qu’allez-vous prendre ? lui dit le vieillard en allumant les bougies démesurément longues dont on se sert en Norwége.

— Rien, David, je suis trop lasse.

Séraphîtüs défit sa pelisse fourrée de martre, s’y roula, et dormit.