Aller au contenu

Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/240

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment, car tu ne me verras plus qu’imparfaitement, comme tu me vois à la clarté du pâle soleil de la terre. »

Séraphîta se dressa sur ses pieds, resta, la tête mollement inclinée, les cheveux épars, dans la pose aérienne que les sublimes peintres ont tous donnée aux Messagers d’en haut : les plis de son vêtement eurent cette grâce indéfinissable qui arrête l’artiste, l’homme qui traduit tout par le sentiment, devant les délicieuses lignes du voile de la Polymnie antique. Puis elle étendit la main, et Wilfrid se leva. Quand il regarda Séraphîta, la blanche jeune fille était couchée sur la peau d’ours, la tête appuyée sur sa main, le visage calme, les yeux brillants. Wilfrid la contempla silencieusement, mais une crainte respectueuse animait sa figure, et se trahissait par une contenance timide.

— Oui, chère, dit-il enfin comme s’il répondait à une question, nous sommes séparés par des mondes entiers. Je me résigne, et ne puis que vous adorer. Mais que vais-je devenir, moi pauvre seul ?

— Wilfrid, n’avez-vous pas votre Minna ?

Il baissa la tête.

— Oh ! ne soyez pas si dédaigneux : la femme comprend tout par l’amour ; quand elle n’entend pas, elle sent ; quand elle ne sent pas, elle voit ; quand elle ne voit, ni ne sent, ni n’entend, eh ! bien, cet ange de la terre vous devine pour vous protéger, et cache ses protections sous la grâce de l’amour.

— Séraphîta, suis-je digne d’appartenir à une femme ?

— Vous êtes devenu soudain bien modeste, ne serait-ce pas un piége ? Une femme est toujours si touchée de voir sa faiblesse glorifiée ! Eh, bien, après demain soir, venez prendre le thé chez moi ; le bon monsieur Becker y sera ; vous y verrez Minna, la plus candide créature que je sache en ce monde. Laissez-moi maintenant, mon ami, j’ai ce soir de longues prières à faire pour expier mes fautes.

— Comment pouvez-vous pécher ?

— Pauvre cher, abuser de sa puissance, n’est-ce pas de l’orgueil ? je crois avoir été trop orgueilleuse aujourd’hui. Allons, partez. À demain.

— À demain, dit faiblement Wilfrid en jetant un long regard sur cette créature de laquelle il voulait emporter une image ineffaçable.