Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/242

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collections de faits deviennent des abstractions, où les plus vastes ouvrages de la nature sont des images ; malheur à lui si quelque bruit soudain frappe ses sens et rappelle son âme voyageuse dans sa prison d’os et de chair. Le choc de ces deux puissances, le Corps et l’Esprit, dont l’une participe de l’invisible action de la foudre, et dont l’autre partage avec la nature sensible cette molle résistance qui défie momentanément la destruction ; ce combat, ou mieux cet horrible accouplement engendre des souffrances inouïes. Le corps a redemandé la flamme qui le consume, et la flamme a ressaisi sa proie. Mais cette fusion ne s’opère pas sans les bouillonnements, sans les explosions et les tortures dont les visibles témoignages nous sont offerts par la Chimie quand se séparent deux principes ennemis qu’elle s’était plu à réunir. Depuis quelques jours, lorsque Wilfrid entrait chez Séraphîta, son corps y tombait dans un gouffre. Par un seul regard, cette singulière créature l’entraînait en esprit dans la sphère où la Méditation entraîne le savant, où la Prière transporte l’âme religieuse, où la Vision emmène un artiste, où le Sommeil emporte quelques hommes ; car à chacun sa voix pour aller aux abîmes supérieurs, à chacun son guide pour s’y diriger, à tous la souffrance au retour. Là seulement se déchirent les voiles et se montre à nu la Révélation, ardente et terrible confidence d’un monde inconnu, duquel l’esprit ne rapporte ici-bas que des lambeaux. Pour Wilfrid, une heure passée près de Séraphîta ressemblait souvent au songe qu’affectionnent les thériakis, et où chaque papille nerveuse devient le centre d’une jouissance rayonnante. Il sortait brisé comme une jeune fille qui s’est épuisée à suivre la course d’un géant. Le froid commençait à calmer par ses flagellations aiguës la trépidation morbide que lui causait la combinaison de ses deux natures violemment disjointes ; puis, il revenait toujours au presbytère, attiré près de Minna par le spectacle de la vie vulgaire duquel il avait soif, autant qu’un aventurier d’Europe a soif de sa patrie, quand la nostalgie le saisit au milieu des féeries qui l’avaient séduit en Orient. En ce moment, plus fatigué qu’il ne l’avait jamais été, cet étranger tomba dans un fauteuil, et regarda pendant quelque temps autour de lui, comme un homme qui s’éveille. Monsieur Becker, accoutumé sans doute, aussi bien que sa fille, à l’apparente bizarrerie de leur hôte, continuèrent tous deux à travailler.


Le parloir avait pour ornement une collection des insectes et des