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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/245

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nuit d’un peignoir en toile de coton blanche. Un simple bonnet de percale, sans autre ornement qu’une ruche de même étoffe, enveloppait sa chevelure. Quoique plongée dans quelque contemplation secrète, elle comptait, sans se tromper, les fils de sa serviette, ou les mailles de son bas. Elle offrait ainsi l’image la plus complète, le type le plus vrai de la femme destinée aux œuvres terrestres, dont le regard pourrait percer les nuées du sanctuaire, mais qu’une pensée à la fois humble et charitable maintient à hauteur d’homme. Wilfrid s’était jeté sur un fauteuil, entre ces deux tables, et contemplait avec une sorte d’ivresse ce tableau plein d’harmonies auquel les nuages de fumée ne messeyaient point. La seule fenêtre qui éclairât ce parloir pendant la belle saison était alors soigneusement close. En guise de rideaux, une vieille tapisserie, fixée sur un bâton, pendait en formant de gros plis. Là, rien de pittoresque, rien d’éclatant, mais une simplicité rigoureuse, une bonhomie vraie, le laissez-aller de la nature, et toutes les habitudes d’une vie domestique sans troubles ni soucis. Beaucoup de demeures ont l’apparence d’un rêve, l’éclat du plaisir qui passe semble y cacher des ruines sous le froid sourire du luxe ; mais ce parloir était sublime de réalité, harmonieux de couleur, et réveillait les idées patriarcales d’une vie pleine et recueillie. Le silence n’était troublé que par les trépignements de la servante occupée à préparer le souper, et par les frissonnements du poisson séché qu’elle faisait frire dans le beurre salé, suivant la méthode du pays.

— Voulez-vous fumer une pipe ? dit le pasteur en saisissant un moment où il crut que Wilfrid pouvait l’entendre.

— Merci, cher monsieur Becker, répondit-il.

— Vous semblez aujourd’hui plus souffrant que vous ne l’êtes ordinairement, lui dit Minna frappée de la faiblesse que trahissait la voix de l’étranger.

— Je suis toujours ainsi quand je sors du château.

Minna tressaillit.

— Il est habité par une étrange personne, monsieur le pasteur, reprit-il après une pause. Depuis six mois que je suis dans ce village, je n’ai point osé vous adresser de questions sur elle, et suis obligé de me faire violence aujourd’hui pour vous en parler. J’ai commencé par regretter bien vivement de voir mon voyage interrompu par l’hiver, et d’être forcé de demeurer ici ; mais depuis ces deux derniers mois, chaque jour les chaînes qui m’at-