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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/271

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bouche qui a toujours souri, bouche angélique d’où sont sortis ces mots pleins de mon bonheur : — « À bientôt ! » Et j’ai senti les resplendissements de l’amour céleste. La conviction qui brillait dans le visage du baron m’interdisait toute discussion, je l’écoutais en silence, sa voix avait une chaleur contagieuse qui m’échauffait les entrailles ; son fanatisme agitait mon cœur, comme la colère d’autrui nous fait vibrer les nerfs. Je le suivis en silence et vins dans sa maison, où j’aperçus l’enfant sans nom, couché sur sa mère qui l’enveloppait mystérieusement. Séraphîta m’entendit venir et leva la tête vers moi : ses yeux n’étaient pas ceux d’un enfant ordinaire ; pour exprimer l’impression que j’en reçus, il faudrait dire qu’ils voyaient et pensaient déjà. L’enfance de cette créature prédestinée fut accompagnée de circonstances extraordinaires dans notre climat. Pendant neuf années, nos hivers ont été plus doux et nos étés plus longs que de coutume. Ce phénomène causa plusieurs discussions entre les savants ; mais si leurs explications parurent suffisantes aux académiciens, elles firent sourire le baron quand je les lui communiquai. Jamais Séraphîta n’a été vue dans sa nudité, comme le sont quelquefois les enfants ; jamais elle n’a été touchée ni par un homme ni par une femme ; elle a vécu vierge sur le sein de sa mère, et n’a jamais crié. Le vieux David vous confirmera ces faits, si vous le questionnez sur sa maîtresse pour laquelle il a d’ailleurs une adoration semblable à celle qu’avait pour l’arche sainte le roi dont il porte le nom. Dès l’âge de neuf ans, l’enfant a commencé à se mettre en état de prière : la prière est sa vie ; vous l’avez vue dans notre temple, à Noël, seul jour où elle y vienne ; elle y est séparée des autres chrétiens par un espace considérable. Si cet espace n’existe pas entre elle et les hommes, elle souffre. Aussi reste-t-elle la plupart du temps au château. Les événements de sa vie sont d’ailleurs inconnus, elle ne se montre pas ; ses facultés, ses sensations, tout est intérieur ; elle demeure la plus grande partie du temps dans l’état de contemplation mystique habituel, disent les écrivains papistes, aux premiers chrétiens solitaires en qui demeurait la tradition de la parole de Christ. Son entendement, son âme, son corps, tout en elle est vierge comme la neige de nos montagnes. À dix ans, elle était telle que vous la voyez maintenant. Quand elle eut neuf ans, son père et sa mère expirèrent ensemble, sans douleur, sans maladie visible, après avoir dit l’heure à laquelle ils