Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/295

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tante de ses conditions. Il est donc impossible d’admettre une fraction de Dieu qui ne soit pas Dieu ? Cette hypothèse parut tellement criminelle à l’Église romaine, qu’elle a fait un article de foi de l’omniprésence dans les moindres parcelles de l’Eucharistie. Comment alors supposer une intelligence omnipotente qui ne triomphe pas ? Comment l’adjoindre, sans un triomphe immédiat, à la Nature ? Et cette Nature cherche, combine, refait, meurt et renaît ; elle s’agite encore plus quand elle crée que quand tout est en fusion ; elle souffre, gémit, ignore, dégénère, fait le mal, se trompe, s’abolit, disparaît, recommence ? Comment justifier la méconnaissance presque générale du principe divin ? Pourquoi la mort ? pourquoi le génie du mal, ce roi de la terre, a-t-il été enfanté par un Dieu souverainement bon dans son essence et dans ses facultés, qui n’a rien dû produire que de conforme à lui-même ? Mais si, de cette conséquence implacable qui nous conduit tout d’abord à l’absurde, nous passons aux détails, quelle fin pouvons-nous assigner au monde ? Si tout est Dieu, tout est réciproquement effet et cause ; ou plutôt il n’existe ni cause ni effet : tout est UN comme Dieu, et vous n’apercevez ni point de départ ni point d’arrivée. La fin réelle serait-elle une rotation de la matière qui va se subtilisant ? En quelque sens qu’il se fasse, ne serait-ce pas un jeu d’enfant que le mécanisme de cette matière sortie de Dieu, retournant à Dieu ? Pourquoi se ferait-il grossier ? Sous quelle forme Dieu est-il le plus Dieu ? Qui a raison, de la Matière ou de l’Esprit, quand aucun des deux modes ne saurait avoir tort ? Qui peut reconnaître Dieu dans cette éternelle Industrie par laquelle il se partagerait lui-même en deux Natures, dont l’une ne sait rien, dont l’autre sait tout ? Concevez-vous Dieu s’amusant de lui-même sous forme d’homme ? riant de ses propres efforts, mourant vendredi pour renaître dimanche, et continuant cette plaisanterie dans les siècles des siècles en en sachant de toute éternité la fin ? ne se disant rien à lui Créature, de ce qu’il fait, lui Créateur. Le Dieu de la précédente hypothèse, ce Dieu si nul par la puissance de son inertie, semble plus possible, s’il fallait choisir dans l’impossible, que ce Dieu si stupidement rieur qui se fusille lui-même quand deux portions de l’humanité sont en présence, les armes à la main. Quelque comique que soit cette suprême expression de la seconde face du problème, elle fut adoptée par la moitié du genre humain chez les nations qui se sont créé de riantes mytho-