Frithiof, cette chronique à laquelle vous croyez et que vous m’avez promise. Dites-nous cette histoire où le fils d’un paysan possède un navire qui parle et qui a une âme ? Je rêve de la frégate Ellida ! N’est-ce pas sur cette fée à voiles que devraient naviguer les jeunes filles ?
— Puisque nous revenons à Jarvis, dit Wilfrid dont les yeux s’attachaient à Séraphîta comme ceux d’un voleur caché dans l’ombre s’attachent à l’endroit où gît le trésor, dites-moi, pourquoi vous ne vous mariez pas ?
— Vous naissez tous veufs ou veuves, répondit elle, mais mon mariage était préparé dès ma naissance, et je suis fiancée…
— À qui ? dirent-ils tous à la fois.
— Laissez-moi mon secret, dit-elle. Je vous promets, si notre père le veut, de vous convier à ces noces mystérieuses.
— Sera-ce bientôt ?
— J’attends.
Un long silence suivit cette parole.
— Le printemps est venu, dit Séraphîta, le fracas des eaux et des glaces rompues commence, ne venez-vous pas saluer le premier printemps d’un nouveau siècle ?
Elle se leva suivie de Wilfrid, et ils allèrent ensemble à une fenêtre que David avait ouverte. Après le long silence de l’hiver, les grandes eaux se remuaient sous les glaces et retentissaient dans le Fiord comme une musique, car il est des sons que l’espace épure et qui arrivent à l’oreille comme des ondes pleines à la fois de lumière et de fraîcheur.
— Cessez, Wilfrid, cessez d’enfanter de mauvaises pensées dont le triomphe vous serait pénible à porter. Qui ne lirait vos désirs dans les étincelles de vos regards ? Soyez bon, faites un pas dans le bien ? N’est-ce pas aller au delà de l’aimer des hommes que de se sacrifier complétement au bonheur de celle qu’on aime ? Obéissez-moi, je vous mènerai dans une voie où vous obtiendrez toutes les grandeurs que vous rêvez, et où l’amour sera vraiment infini.
Elle laissa Wilfrid pensif.
— Cette douce créature est-elle bien la prophétesse qui vient de jeter des éclairs par les yeux, dont la parole a tonné sur les mondes, dont la main a manié contre nos sciences la hache du doute ? Avons-nous veillé pendant quelques moments ? se dit-il.
— Minna, dit Séraphîtüs en revenant auprès de la fille du pas-