Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/312

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Prophète vient-il expliquer le songe ? le Mort évoqué se dresse-t-il dans les régions lumineuses où revivent les facultés ? l’Esprit écrase-t-il la Matière au pied de l’échelle mystique des Sept Mondes Spirituels arrêtés les uns sur les autres dans l’espace et se révélant par des ondes brillantes qui tombent en cascades sur les marches du Parvis céleste ? Quelque profonde que soit la Révélation intérieure, quelque visible que soit la Révélation extérieure ; le lendemain Balaam doute de son ânesse et de lui ; Balthazar et Pharaon font commenter la Parole par deux Voyants, Moïse et Daniel. L’Esprit vient, emporte l’homme au-dessus de la terre, lui soulève les mers, lui en fait voir le fond, lui montre les espèces disparues, lui ranime les os desséchés qui meublent de leur poudre la grande vallée : l’Apôtre écrit l’Apocalypse ! Vingt siècles après, la science humaine approuve l’apôtre, et traduit ses images en axiomes. Qu’importe ! la masse continue à vivre comme elle vivait hier, comme elle vivait à la première olympiade, comme elle vivait le lendemain de la création, ou la veille de la grande catastrophe. Le Doute couvre tout de ses vagues. Les mêmes flots battent par le même mouvement le granit humain qui sert de bornes à l’océan de l’intelligence. Après s’être demandé s’il a vu ce qu’il a vu, s’il a bien entendu les paroles dites, si le fait était un fait, si l’idée était une idée, l’homme reprend son allure, il pense à ses affaires, il obéit à je ne sais quel valet qui suit la Mort, à l’oubli, qui de son manteau noir couvre une ancienne Humanité dont la nouvelle n’a nul souvenir. L’Homme ne cesse d’aller, de marcher, de pousser végétativement jusqu’au jour où la Cognée l’abat. Si cette puissance de flot, si cette haute pression des eaux amères empêche tout progrès, elle prévient sans doute aussi la mort. Les Esprits préparés pour la foi parmi les êtres supérieurs aperçoivent seuls l’échelle mystique de Jacob.

Après avoir entendu la réponse où Séraphîta, si sérieusement interrogée, avait déroulé l’Étendue divine, comme un orgue touché remplit une église de son mugissement et révèle l’univers musical en baignant de ses sons graves les voûtes les plus inaccessibles, en se jouant, comme la lumière, dans les plus légères fleurs des chapiteaux ; Wilfrid rentra chez lui tout épouvanté d’avoir vu le monde en ruines, et sur ces ruines des clartés inconnues, épanchées à flots par les mains de cette jeune fille. Le lendemain il y pensait encore, mais l’épouvante était calmée ; il ne se sentait ni