Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/35

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ainsi la Méditerranée, qui est comme une corbeille où tombent les richesses de l’Orient, et desquelles ces messieurs de Venise profitent aujourd’hui, à la barbe de Philippe II. Si l’amitié des Médicis et vos droits peuvent vous faire espérer l’Italie, la force ou des alliances, une succession peut-être, vous donneront l’Espagne. Prévenez sur ce point l’ambitieuse maison d’Autriche, à laquelle les Guelfes vendaient l’Italie, et qui rêve encore d’avoir l’Espagne. Quoique votre femme vienne de cette maison, abaissez l’Autriche, embrassez-la bien fort pour l’étouffer ; là, sont les ennemis de votre royaume, car de là viennent les secours aux Réformés. N’écoutez pas les gens qui trouvent un bénéfice à notre désaccord, et qui vous mettent martel en tête, en me présentant comme votre ennemie domestique. Vous ai-je empêché d’avoir des héritiers ? Pourquoi votre maîtresse vous donne-t-elle un fils et la reine une fille ? Pourquoi n’avez-vous pas aujourd’hui trois héritiers qui couperaient par le pied les espérances de tant de séditions ? Est-ce à moi, monsieur, de répondre à ces questions ? Si vous aviez un fils, monsieur d’Alençon conspirerait-il ?

En achevant ces paroles, Catherine arrêta sur Charles IX le coup d’œil fascinateur de l’oiseau de proie sur sa victime. La fille des Médicis était alors belle de sa beauté ; ses vrais sentiments éclataient sur son visage qui, semblable à celui du joueur à son tapis vert, étincelait de mille grandes cupidités. Charles IX ne vit plus la mère d’un seul homme, mais bien, comme on le disait d’elle, la mère des armées et des empires (mater castrorum). Catherine avait déployé les ailes de son génie et volait audacieusement dans la haute politique des Médicis et des Valois, en traçant les plans gigantesques dont s’effraya jadis Henri II, et qui, transmis par le génie des Médicis à Richelieu, restèrent écrits dans le cabinet de la maison de Bourbon. Mais Charles IX, en voyant sa mère user de tant de précautions, pensait en lui-même qu’elles devaient être nécessaires, et il se demandait, dans quel but elle les prenait. Il baissait les yeux, il hésitait : sa défiance ne pouvait tomber devant des phrases. Catherine fut étonnée de la profondeur à laquelle gisaient les soupçons dans le cœur de son fils.

— Eh ! bien, monsieur, dit-elle, ne me comprendrez-vous donc point ? Que sommes-nous, vous et moi, devant l’éternité des couronnes royales ? Me supposez-vous des desseins autres que ceux qui doivent nous agiter en habitant la sphère où l’on domine les empires ?