Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/364

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nos neuf millions de proscrites, le percepteur, le magistrat, le législateur, le prêtre voient sans doute des âmes, des administrés, des justiciables, des contribuables ; mais l’homme à sentiment, le philosophe de boudoir, tout en mangeant le petit pain de griot semé et récolté par ces créatures-là, les rejetteront, comme nous le faisons, hors du genre Femme. Pour eux, il n’y a de femme que celle qui peut inspirer de l’amour ; il n’y a d’existant que la créature investie du sacerdoce de la pensée par une éducation privilégiée, et chez qui l’oisiveté a développé la puissance de l’imagination ; enfin il n’y a d’être que celui dont l’âme rêve, en amour, autant de jouissances intellectuelles que de plaisirs physiques.

Cependant nous ferons observer que ces neuf millions de parias femelles produisent çà et là des milliers de paysannes qui, par des circonstances bizarres, sont jolies comme des amours ; elles arrivent à Paris ou dans les grandes villes, et finissent par monter au rang des femmes comme il faut ; mais pour ces deux ou trois mille créatures privilégiées, il y en a cent mille autres qui restent servantes ou se jettent en d’effroyables désordres. Néanmoins nous tiendrons compte à la population féminine de ces Pompadours de village.

Ce premier calcul est fondé sur cette découverte de la statistique, qu’en France il y a dix-huit millions de pauvres, dix millions de gens aisés, et deux millions de riches.

Il n’existe donc en France que six millions de femmes dont les hommes à sentiment s’occupent, se sont occupés ou s’occuperont.

Soumettons cette élite sociale à un examen philosophique.

Nous pensons, sans crainte d’être démenti, que les époux qui ont vingt ans de ménage doivent dormir tranquillement sans avoir à redouter l’invasion de l’amour et le scandale d’un procès en criminelle conversation. De ces six millions d’individus il faut donc distraire environ deux millions de femmes extrêmement aimables, parce qu’à quarante ans passés elles ont vu le monde ; mais comme elles ne peuvent remuer le cœur de personne, elles sont en dehors de la question dont il s’agit. Si elles ont le malheur de ne pas être recherchées pour leur amabilité, l’ennui les gagne ; elles se jettent dans la dévotion, dans les chats, les petits chiens, et autres manies qui n’offensent plus que Dieu.

Les calculs faits au Bureau des Longitudes sur la population nous autorisent à soustraire encore de la masse totale deux millions de