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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/388

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en patrouille, comme le prouve la lettre de Lafleur, dans le Voyage Sentimental.

Après les gens forcés de s’absenter du logis à des heures fixes, viennent les hommes à qui de vastes et sérieuses occupations ne laissent pas une minute pour être aimables ; leurs fronts sont toujours soucieux, leur entretien est rarement gai.

À la tête de ces troupes incornifistibulées, nous placerons ces banquiers travaillant à remuer des millions, dont les têtes sont tellement remplies de calculs que les chiffres finissent par percer leur occiput et s’élever en colonnes d’additions au-dessus de leurs fronts.

Ces millionnaires oublient la plupart du temps les saintes lois du mariage et les soins réclamés par la tendre fleur qu’ils ont à cultiver, jamais ne pensent à l’arroser, à la préserver du froid ou du chaud. À peine savent-ils que le bonheur d’une épouse leur a été confié ; s’ils s’en souviennent, c’est à table en voyant devant eux une femme richement parée, ou lorsque la coquette, craignant leur abord brutal, vient, aussi gracieuse que Vénus, puiser à leur caisse… Oh ! alors, le soir, ils se rappellent quelquefois assez fortement les droits spécifiés à l’article 213 du Code civil, et leurs femmes les reconnaissent ; mais comme ces forts impôts que les lois établissent sur les marchandises étrangères, elles les souffrent et les acquittent en vertu de cet axiome : Il n’y a pas de plaisir sans un peu de peine.

Les savants, qui demeurent des mois entiers à ronger l’os d’un animal anté-diluvien, à calculer les lois de la nature ou à en épier les secrets ; les Grecs et les Latins qui dînent d’une pensée de Tacite, soupent d’une phrase de Thucydide, vivent en essuyant la poussière des bibliothèques, en restant à l’affût d’une note ou d’un papyrus, sont tous prédestinés. Rien de ce qui se passe autour d’eux ne les frappe, tant est grande leur absorption ou leur extase ; leur malheur se consommerait en plein midi, à peine le verraient-ils ! Heureux ! ô mille fois heureux ! Exemple : Beauzée qui, revenant chez lui après une séance de l’Académie, surprend sa femme avec un Allemand. — Quand je vous avertissais, madame, qu’il fallait que je m’en aille… s’écrie l’étranger. — Eh ! monsieur, dites au moins : Que je m’en allasse ! reprend l’académicien.

Viennent encore, la lyre à la main, quelques poètes dont toutes les forces animales abandonnent l’entresol pour aller dans l’étage supérieur. Sachant mieux monter Pégase que la jument du compère