Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/43

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des ambitions insatiables. Le parti de Charles IX est le plus faible de tous : celui du roi de Navarre, celui du roi de Pologne, celui du duc d’Alençon, celui des Condé, celui des Guise, celui de ma mère se coalisent les uns contre les autres et me laissent seul jusque dans mon conseil. Ma mère est, au milieu de tant d’éléments de trouble, la plus forte, elle vient de me démontrer l’inanité de mes plans. Nous sommes environnés de sujets qui narguent la justice. La hache de Louis XI, de qui tu parles, nous manque. Le Parlement ne condamnerait ni les Guise, ni le roi de Navarre, ni les Condé, ni mes frères ; il croirait mettre le royaume en feu. Il faudrait avoir le courage que veut l’assassinat ; le trône en viendra là avec ces insolents qui ont supprimé la justice ; mais où trouver des bras fidèles ! Le conseil tenu ce matin m’a dégoûté de tout : partout des trahisons, partout des intérêts contraires. Je suis las de porter ma couronne, je ne veux plus que mourir en paix.

Et il retomba dans une morne somnolence.

— Dégoûté de tout ! répéta douloureusement Marie Touchet en respectant la profonde torpeur de son amant.

Charles était, en effet, en proie à l’une de ces prostrations complètes de l’esprit et du corps, produites par la fatigue de toutes les facultés, et augmentées par le découragement que causent l’étendue du malheur, l’impossibilité reconnue du triomphe, ou l’aspect de difficultés si multipliées que le génie lui-même s’en effraie. L’abattement du roi était en raison de la hauteur à laquelle avaient monté son courage et ses idées depuis quelques mois ; puis un accès de mélancolie nerveuse, engendrée par la maladie elle-même, l’avait saisi au sortir du long conseil qui s’était tenu dans son cabinet ; Marie vit bien qu’il se trouvait en proie à l’une de ces crises où tout est douloureux et importun, même l’amour, elle demeura donc agenouillée, la tête sur les genoux du roi, qui laissa sa main plongée dans les cheveux de sa maîtresse, sans mouvement, sans dire un mot, sans soupirer, ni elle non plus. Charles IX était plongé dans la léthargie de l’impuissance, et Marie dans la stupeur du désespoir de la femme aimante qui aperçoit les frontières où finit l’amour.

Les deux amants restèrent ainsi dans le plus profond silence pendant un long moment, pendant une de ces heures où toute réflexion fait plaie, où les nuages d’une tempête intérieure voi-