Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/441

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elles étaient mariées, comme aux États-Unis, sans dot. Alors le système adopté par les Romains pourra, sans inconvénients, s’appliquer aux femmes mariées qui, jeunes filles, auront usé de leur liberté. Exclusivement chargées de l’éducation primitive des enfants, la plus importante de toutes les obligations d’une mère, occupées de faire naître et de maintenir ce bonheur de tous les instants, si admirablement peint dans le quatrième livre de Julie, elles seront, dans leur maison, comme les anciennes Romaines, une image vivante de la Providence qui éclate partout, et ne se laisse voir nulle part. Alors les lois sur l’infidélité de la femme mariée devront être excessivement sévères. Elles devront prodiguer plus d’infamie encore que de peines afflictives et coercitives. La France a vu promener des femmes montées sur des ânes pour de prétendus crimes de magie, et plus d’une innocente est morte de honte. Là est le secret de la législation future du mariage. Les filles de Milet se guérissaient du mariage par le mort, le Sénat condamne les suicidées à être traînées nues sur une claie, et les vierges se condamnent à la vie.

Les femmes et le mariage ne seront donc respectés en France que par le changement radical que nous implorons pour nos mœurs. Cette pensée profonde est celle qui anime les deux plus belles productions d’un immortel génie. L’Émile et la Nouvelle Héloïse ne sont que deux éloquents plaidoyers en faveur de ce système. Cette voix retentira dans les siècles, parce qu’elle a deviné les vrais mobiles des lois et des mœurs des siècles futurs. En attachant les enfants au sein de leurs mères, Jean-Jacques rendait déjà un immense service à la vertu ; mais son siècle était trop profondément gangrené pour comprendre les hautes leçons que renfermaient ces deux poèmes ; il est vrai d’ajouter aussi que le philosophe fut vaincu par le poète, et qu’en laissant dans le cœur de Julie mariée des vestiges de son premier amour, il a été séduit par une situation poétique plus touchante que la vérité qu’il voulait développer, mais moins utile.

Cependant, si le mariage, en France, est un immense contrat par lequel les hommes s’entendent tous tacitement pour donner plus de saveur aux passions, plus de curiosité, plus de mystère à l’amour, plus de piquant aux femmes, si une femme est plutôt un ornement de salon, un mannequin à modes, un porte-manteau, qu’un être dont les fonctions, dans l’ordre politique, puissent se