Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/468

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fusil par un mouvement de rage ; et, le lançant sur la terre, il en enfonça presque la crosse dans le gazon humide. — « Il parait que la chère tante aime les fariboles !… » me dit tout bas l’officier. — « Ou les dénoûments qui ne traînent pas ! » ajoutai-je. Le neveu tira sa cravate, rajusta son col, et sauta comme une chèvre calabroise.

Nous rentrâmes sur les deux heures après midi. Le comte m’emmena chez lui jusqu’au dîner, sous prétexte de chercher quelques médailles desquelles il m’avait parlé pendant notre retour au logis. Le dîner fut sombre. La comtesse prodiguait à son neveu les rigueurs d’une politesse froide. Rentrés au salon, le comte dit à sa femme : — « Vous faites votre trictrac ?… nous allons vous laisser. » La jeune comtesse ne répondit pas. Elle regardait le feu et semblait n’avoir pas entendu. Le mari s’avança de quelques pas vers la porte en m’invitant par un geste de main à le suivre. Au bruit de sa marche, sa femme retourna vivement la tête. — « Pourquoi nous quitter ?… dit-elle ; vous avez bien demain tout le temps de montrer à monsieur des revers de médailles. » Le comte resta. Sans faire attention à la gêne imperceptible qui avait succédé à la grâce militaire de son neveu, le comte déploya pendant toute la soirée le charme inexprimable de sa conversation. Jamais je ne le vis si brillant ni si affectueux, Nous parlâmes beaucoup des femmes. Les plaisanteries de notre hôte furent marquées au coin de la plus exquise délicatesse. Il m’était impossible à moi-même de voir des cheveux blancs sur sa tête chenue ; car elle brillait de cette jeunesse de cœur et d’esprit qui efface les rides et fond la neige des hivers. Le lendemain le neveu partit. Même après la mort de monsieur de Nocé, et en cherchant à profiter de l’intimité de ces causeries familières où les femmes ne sont pas toujours sur leurs gardes, je n’ai jamais pu savoir quelle impertinence commit alors le vicomte envers sa tante. Cette insolence devait être bien grave, car depuis cette époque, madame de Nocé n’a pas voulu revoir son neveu et ne peut, même aujourd’hui, en entendre prononcer le nom sans laisser échapper un léger mouvement de sourcils. Je ne devinai pas tout de suite le but de la chasse du comte de Nocé ; mais plus tard je trouvai qu’il avait joué bien gros jeu.

Cependant, si vous venez à bout de remporter, comme monsieur de Nocé, une si grande victoire, n’oubliez pas de mettre singulièrement en pratique le système des moxas ; et ne vous imaginez pas que l’on puisse recommencer impunément de semblables tours de