Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/483

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— Monsieur, reprit-il gravement, permettez-moi d’achever. Voilà ce que les grands politiques appellent une théorie, mais ils savent faire disparaître cette théorie par la pratique, comme une vraie fumée ; et les ministres possèdent encore mieux que tous les avoués de Normandie l’art d’emporter le fond par la forme. Monsieur de Metternich et monsieur de Pilat, hommes d’un profond mérite, se demandent depuis long-temps si l’Europe est dans son bon sens, si elle rêve, si elle sait où elle va, si elle a jamais raisonné, chose impossible aux masses, aux peuples et aux femmes. Messieurs de Metternich et de Pilat sont effrayés de voir ce siècle-ci poussé par la manie des constitutions, comme le précédent l’était par la philosophie, et comme celui de Luther l’était par la réforme des abus de la religion romaine ; car il semble vraiment que les générations soient semblables à des conspirateurs dont les actions marchent séparément au même but en se passant le mot d’ordre. Mais ils s’effraient à tort, et c’est en cela seulement que je les condamne, car ils ont raison de vouloir jouir du pouvoir, sans que des bourgeois arrivent, à jour fixe, du fond de chacun de leurs six royaumes pour les taquiner. Comment des hommes si remarquables n’ont-ils pas su deviner la profonde moralité que renferme la comédie constitutionnelle, et voir qu’il est de la plus haute politique de laisser un os à ronger au siècle ? Je pense absolument comme eux relativement à la souveraineté. Un pouvoir est un être moral aussi intéressé qu’un homme à sa conservation. Le sentiment de la conservation est dirigé par un principe essentiel, exprimé en trois mots : Ne rien perdre. Pour ne rien perdre, il faut croître, ou rester infini ; car un pouvoir stationnaire est nul. S’il rétrograde, ce n’est plus un pouvoir, il est entraîné par un autre. Je sais, comme ces messieurs, dans quelle situation fausse se trouve un pouvoir infini qui fait une concession ? il laisse naître dans son existence un autre pouvoir dont l’essence sera de grandir. L’un anéantira nécessairement l’autre, car tout être tend au plus grand développement possible de ses forces. Un pouvoir ne fait donc jamais de concessions qu’il ne tente de les reconquérir. Ce combat entre les deux pouvoirs constitue nos gouvernements constitutionnels, dont le jeu épouvante à tort le patriarche de la diplomatie autrichienne, parce que, comédie pour comédie, la moins périlleuse et la plus lucrative est celle que jouent l’Angleterre et la France. Ces deux patries ont dit au peuple : « Tu es libre ! » et il