Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/500

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ge à ces heures crépusculaires où la raison endormie ne brille presque plus dans notre machine. — Tu es couchée ! — Diable, il fait froid ce soir ! — Tu ne dis rien, mon ange ! — Tu es déjà roulée dans ton lit !… — Sournoise ! tu fais semblant de dormir !… Ces discours sont entrecoupés de bâillements ; et, après une infinité de petits événements qui, selon les habitudes de chaque ménage, doivent diversifier cette préface de la nuit, voilà mon homme qui fait rendre un son grave à son lit en s’y plongeant. Mais voici venir sur la toile fantastique que nous trouvons comme tendue devant nous, en fermant les yeux, voici venir les images séduisantes de quelques jolis minois, de quelques jambes élégantes ; voici les amoureux contours qu’il a vus pendant le jour. Il est assassiné par d’impétueux désirs… Il tourne les yeux vers sa femme. Il aperçoit un charmant visage encadré par les broderies les plus délicates ; tout endormi qu’il puisse être, le feu de son regard semble brûler les ruches de dentelle qui cachent imparfaitement les yeux ; enfin des formes célestes sont accusées par les plis révélateurs du couvre-pied… — Ma Minette ?… — Mais je dors, mon ami.. Comment débarquer dans cette Laponie ? Je vous fais jeune, beau, plein d’esprit, séduisant. Comment franchirez-vous le détroit qui sépare le Groënland de l’Italie ? L’espace qui se trouve entre le paradis et l’enfer n’est pas plus immense que la ligne qui empêche vos deux lits de n’en faire qu’un seul ; car votre femme est froide, et vous êtes livré à toute l’ardeur d’un désir. N’y eût-il que l’action technique d’enjamber d’un lit à un autre, ce mouvement place un mari coiffé d’un madras dans la situation la plus disgracieuse du monde. Le danger, le peu de temps, l’occasion, tout, entre amants, embellit les malheurs de ces situations, car l’amour a un manteau de pourpre et d’or qu’il jette sur tout, même sur les fumants décombres d’une ville prise d’assaut ; tandis que, pour ne pas apercevoir des décombres sur les plus riants tapis, sous les plis les plus séduisants de la soie, l’hymen a besoin des prestiges de l’amour. Ne fussiez-vous qu’une seconde a entrer dans les possessions de votre femme, le DEVOIR, cette divinité du mariage, a le temps de lui apparaître dans toute sa laideur.

Ah ! devant une femme froide, combien un homme ne doit-il pas paraître insensé quand le désir le rend successivement colère et tendre, insolent et suppliant, mordant comme une épigramme et doux comme un madrigal ; quand il joue enfin, plus ou moins spirituellement