Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/525

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uns des principes consacrés dans cette importante partie de notre ouvrage, avait épousé une jeune personne de laquelle il était faiblement aimé (ce qu’il considéra comme un très-grand bonheur) ; et, au bout d’une année de mariage, il s’aperçut que sa chère Anna (elle s’appelait Anna) aimait le premier commis d’un agent de change.

Adolphe était un jeune homme de vingt-cinq ans environ, d’une jolie figure, aimant à s’amuser comme tous les célibataires possibles. Il était économe, propre, avait un cœur excellent, montait bien à cheval, parlait spirituellement, tenait de fort beaux cheveux noirs toujours frisés, et sa mise ne manquait pas d’élégance. Bref, il aurait fait honneur et profit à une duchesse. L’avocat était laid, petit, trapu, carré, chafouin et mari. Anna, belle si grande, avait des yeux fendus en amande, le teint blanc, et les traits délicats. Elle était tout amour, et la passion animait son regard d’une expression magique. Elle appartenait à une famille pauvre, maître Lebrun avait douze mille livres de rente. Tout est expliqué. Un soir, Lebrun rentre chez lui d’un air visiblement abattu. Il passe dans son cabinet pour y travailler ; mais il revient aussitôt chez sa femme en grelottant ; car il a la fièvre, et ne tarde pas à se mettre au lit. Il gémit, déplore ses clients, et surtout une pauvre veuve dont il devait, le lendemain même, sauver la fortune par une transaction. Le rendez-vous était pris avec les gens d’affaires, et il se sentait hors d’état d’y aller. Après avoir sommeillé un quart d’heure, il se réveille, et, d’une voix faible, prie sa femme d’écrire à l’un de ses amis intimes de le remplacer dans la conférence qui a lieu le lendemain. Il dicte une longue lettre, et suit du regard l’espace que prennent ses phrases sur le papier. Quand il fallut commencer le recto du second feuillet, l’avocat était en train de peindre à son confrère la joie que sa cliente aurait si la transaction était signée, et le fatal recto commençait par ces mots :

Mon bon ami, allez, ah ! allez aussitôt chez madame de Vernon ; vous y serez attendu bien impatiemment. Elle demeure rue du Sentier, n. 7. Pardonnez-moi de vous en dire si peu, mais je compte sur votre admirable sens pour deviner ce que je ne puis expliquer.

Tout à vous.


— Donnez-moi la lettre, dit l’avocat, pour que je voie s’il n’y a pas de faute avant de la signer. L’infortunée, dont la prudence avait