Aller au contenu

Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/71

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un mouton et timide comme une fille ; son Éminence est pleine de bonté pour lui.

— De quoi s’agit-il donc ?

— De trois cent mille livres, dit-elle.

— Mais c’est donc un avocat ? repris-je en faisant un léger haut-le-corps.

— Oui, dit-elle.

Assez confuse de cet humiliant aveu, madame Bodard alla reprendre sa place au pharaon.

Toutes les parties étaient complètes. Je n’avais rien à faire ni à dire, je venais de perdre deux mille écus contre monsieur de Laval, avec lequel je m’étais rencontré chez une impure. J’allai me jeter dans une duchesse placée auprès de la cheminée. S’il y eut jamais sur cette terre un homme bien étonné, ce fut certes moi, en apercevant que, de l’autre côté du chambranle, j’avais pour vis-à-vis le Contrôleur-Général. Monsieur de Calonne paraissait assoupi, ou il se livrait à l’une de ces méditations qui tyrannisent les hommes d’État. Quand je montrai le ministre par un geste à Beaumarchais qui venait à moi, le père de Figaro m’expliqua ce mystère sans mot dire. Il m’indiqua tour à tour ma propre tête et celle de Bodard par un geste assez malicieux, qui consistait à écarter vers nous deux doigts de la main en tenant les autres fermés. Mon premier mouvement fut de me lever pour aller dire quelque chose de piquant à Calonne ; je restai : d’abord parce que je songeai à jouer un tour à ce favori ; puis Beaumarchais m’avait familièrement arrêté de la main.

— Que voulez-vous, monsieur ? lui dis-je.

Il cligna pour m’indiquer le Contrôleur.

— Ne le réveillez pas, me dit-il à voix basse, l’on est trop heureux quand il dort.

— Mais c’est aussi un plan de finances que le sommeil, repris-je.

— Certainement, nous répondit l’homme d’État qui avait deviné nos paroles au seul mouvement des lèvres, et plût à Dieu que nous pussions dormir long-temps, il n’y aurait pas le réveil que vous verrez !

— Monseigneur, dit le dramaturge, j’ai un remerciement à vous faire.

— Et pourquoi ?

— Monsieur de Mirabeau est parti pour Berlin. Je ne sais pas