Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/165

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bras à leurs maîtresses ont tous des airs de matamore tout à fait réjouissants. Superbement dessiné par un habit bleu à boutons en or massif, par son pantalon noir, chaussé de bottes fines d’un vernis irréprochable, ganté selon l’ordonnance, le baron n’avait de brésilien qu’un gros diamant d’environ cent mille francs qui brillait comme une étoile sur une somptueuse cravate de soie bleue, encadrée par un gilet blanc entr’ouvert de manière à laisser voir une chemise de toile d’une finesse fabuleuse. Le front, busqué comme celui d’un satyre, signe d’entêtement dans la passion, était surmonté d’une chevelure de jais, touffue comme une forêt vierge, sous laquelle scintillaient deux yeux clairs, fauves à faire croire que la mère du baron avait eu peur, étant grosse de lui, de quelque jaguar.

Ce magnifique exemplaire de la race portugaise au Brésil, se campa le dos à la cheminée dans une pose qui décelait des habitudes parisiennes ; et, le chapeau d’une main, le bras appuyé sur le velours de la tablette, il se pencha vers madame Marneffe pour causer à voix basse avec elle, en se souciant fort peu des affreux bourgeois qui, dans son idée, encombraient mal à propos le salon.

Cette entrée en scène, cette pose, et l’air du Brésilien déterminèrent deux mouvements de curiosité mêlée d’angoisse, identiquement pareils chez Crevel et chez le baron. Ce fut chez tous deux la même expression, le même pressentiment. Aussi la manœuvre inspirée à ces deux passions réelles, devint-elle si comique par la simultanéité de cette gymnastique, qu’elle fit sourire les gens d’assez d’esprit pour y voir une révélation. Crevel, toujours bourgeois et boutiquier en diable, quoique maire de Paris, resta malheureusement en position plus long-temps que son collaborateur, et le baron put saisir au passage la révélation involontaire de Crevel. Ce fut un trait de plus dans le cœur du vieillard amoureux qui résolut d’avoir une explication avec Valérie.

— Ce soir, se dit également Crevel en arrangeant ses cartes, il faut en finir…

— Vous avez du cœur !… lui cria Marneffe, et vous venez d’y renoncer.

— Ah ! pardon, répondit Crevel en voulant reprendre sa carte. Ce baron-là me semble de trop, continuait-il en se parlant à lui-même. Que Valérie vive avec mon baron à moi, c’est ma vengeance, et je sais le moyen de m’en débarrasser ; mais ce cousin-là !… c’est