Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/205

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les affaires de chemins de fer depuis trois ans, tout ce que lui avait rapporté ce capital de cent mille écus offert à la baronne Hulot. Ainsi Valérie possédait trente-deux mille francs de rente. Crevel venait de lâcher une promesse bien autrement importante que le don de ses profits. Dans le paroxysme de passion où sa duchesse l’avait plongé de deux heures à quatre (il donnait ce surnom à madame de Marneffe pour compléter ses illusions), car Valérie s’était surpassée rue du Dauphin, il crut devoir encourager la fidélité promise en offrant la perspective d’un joli petit hôtel qu’un imprudent entrepreneur s’était bâti rue Barbette et qu’on allait vendre. Valérie se voyait dans cette charmante maison entre cour et jardin, avec voiture !

— Quelle est la vie honnête qui peut donner tout cela en si peu de temps et si facilement ? avait-elle dit à Lisbeth en achevant sa toilette.

Lisbeth dînait ce jour-là chez Valérie, afin d’en pouvoir dire à Steinbock ce que personne ne peut dire soi-même de soi. Madame Marneffe, la figure radieuse de bonheur, fit son entrée dans le salon avec une grâce modeste, suivie de Bette, qui, mise tout en noir et jeune, lui servait de repoussoir, en terme d’atelier.

— Bonjour, Claude, dit-elle en tendant la main à l’ancien critique si célèbre.

Claude Vignon était devenu, comme tant d’autres, un homme politique, nouveau mot pris pour désigner un ambitieux à la première étape de son chemin. L’homme politique de 1840 est en quelque sorte l’abbé du dix-huitième siècle. Aucun salon ne serait complet, sans son homme politique.

— Ma chère, voilà mon petit cousin le comte de Steinbock, dit Lisbeth en présentant Wenceslas que Valérie paraissait ne pas apercevoir.

— J’ai bien reconnu monsieur le comte, répondit Valérie en faisant un gracieux salut de tête à l’artiste. Je vous voyais souvent rue du Doyenné ; j’ai eu le plaisir d’assister à votre mariage. Ma chère, dit-elle à Lisbeth, il est difficile d’oublier ton ex-enfant, ne l’eût-on vu qu’une fois. — Monsieur Stidmann est bien bon, reprit-elle en saluant le sculpteur, d’avoir accepté mon invitation à si court délai ; mais nécessité n’a pas de foi ! Je vous savais l’ami de ces deux messieurs. Rien n’est plus froid, plus maussade, qu’un dîner où les convives sont inconnus les uns aux autres, et je vous