Le baron s’était fait conduire à la place du Palais-Royal. Là, cet homme qui retrouva tout son esprit pour accomplir un dessein prémédité pendant les jours où il était resté dans son lit anéanti de douleur et de chagrin, traversa le Palais-Royal, et alla prendre une magnifique voiture de remise, rue Joquelet. D’après l’ordre reçu, le cocher entra rue de la Ville-l’Évêque, au fond de l’hôtel Josépha, dont les portes s’ouvrirent, au cri du cocher, pour cette splendide voiture. Josépha vint, amenée par la curiosité ; son valet de chambre lui avait dit qu’un vieillard impotent, incapable de quitter sa voiture, la priait de descendre pour un instant.
— Josépha ! c’est moi !…
L’illustre cantatrice ne reconnut son Hulot qu’à la voix.
— Comment, c’est toi ! mon pauvre vieux ?… Ma parole d’honneur, tu ressembles aux pièces de vingt francs que les juifs d’Allemagne ont lavées et que les changeurs refusent.
— Hélas ! oui, répondit Hulot, je sors des bras de la Mort ! Mais tu es toujours belle, toi ! seras-tu bonne ?
— C’est selon, tout est relatif ! dit-elle.
— Écoute-moi, reprit Hulot. Peux-tu me loger dans une chambre de domestique, sous les toits, pendant quelques jours ? Je suis sans un liard, sans espérance, sans pain, sans pension, sans femme, sans enfants, sans asile, sans honneur, sans courage, sans ami, et, pis que cela ! sous le coup de lettres de change…
— Pauvre vieux ! c’est bien des sans ! Es-tu aussi sans-culotte ?
— Tu ris, je suis perdu ! s’écria le baron. Je comptais cependant sur toi, comme Gourville sur Ninon.
— C’est, m’a-t-on dit, demanda Josépha, une femme du monde qui t’a mis dans cet état-là ? Les farceuses s’entendent mieux que nous à la plumaison du dinde !… Oh ! te voilà comme une carcasse abandonnée par les corbeaux… On voit le jour à travers !
— Le temps presse ! Josépha !
— Entre, mon vieux ! je suis seule, et mes gens ne te connaissent pas. Renvoie ta voiture. Est-elle payée ?
— Oui, dit le baron en descendant appuyé sur le bras de Josépha.
— Tu passeras, si tu veux, pour mon père, dit la cantatrice prise de pitié.
Elle fit asseoir Hulot dans le magnifique salon où il l’avait vue la dernière fois.