Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/306

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devant la grosse dépense, comme des ânes devant une rivière. Ce n’est pas comme toi, mon vieux, tu es un homme à passions, on te ferait vendre ta patrie ! Aussi, vois-tu, je suis prête à tout faire pour toi ! Tu es mon père, tu m’as lancée ! c’est sacré. Que te faut-il ? Veux-tu cent mille francs ? on s’exterminera le tempérament pour te les gagner. Quant à te donner la pâtée et la niche, ce n’est rien. Tu auras ton couvert mis ici tous les jours, tu peux prendre une belle chambre au second, et tu auras cent écus par mois pour ta poche.

Le baron, touché de cette réception, eut un dernier accès de noblesse.

— Non, ma petite, non, je ne suis pas venu pour me faire entretenir, dit-il.

— À ton âge, c’est un fier triomphe ! dit-elle.

— Voici ce que je désire, mon enfant. Ton duc d’Hérouville a d’immenses propriétés en Normandie, et je voudrais être son régisseur sous le nom de Thoul. J’ai la capacité, l’honnêteté, car on prend à son gouvernement, on ne vole pas pour cela dans une caisse…

— Hé ! hé ! fit Josépha, qui a bu, boira !

— Enfin, je ne demande qu’à vivre inconnu pendant trois ans…

— Ça, c’est l’affaire d’un instant, ce soir, après-dîner, dit Josépha, je n’ai qu’à parler. Le duc m’épouserait si je le voulais ; mais j’ai sa fortune, je veux plus !… son estime. C’est un duc de la haute école. C’est noble, c’est distingué, c’est grand comme Louis XIV et comme Napoléon mis l’un sur l’autre, quoique nain. Et puis, j’ai fait comme la Schontz avec Rochefide : par mes conseils, il vient de gagner deux millions. Mais écoute-moi, mon vieux pistolet !… Je te connais, tu aimes les femmes, et tu courras là-bas après les petites Normandes qui sont des filles superbes ; tu te feras casser les os par les gars ou par les pères, et le duc sera forcé de te dégommer. Est-ce que je ne vois pas à la manière dont tu me regardes que le jeune homme n’est pas encore tué chez toi, comme a dit Fénelon ! Cette régie n’est pas ton affaire. On ne rompt pas comme on veut, vois-tu, vieux, avec Paris, avec nous autres ! Tu crèverais d’ennui à Hérouville !

— Que devenir ? demanda le baron, car je ne veux rester chez toi que le temps de prendre un parti.