Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/346

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— Allez chercher monsieur Berthier, dit-elle au valet de chambre, et ne revenez pas sans lui. Si tu avais réussi, dit-elle en enlaçant Crevel, mon petit père, nous aurions retardé mon bonheur, et nous aurions donné une fête à étourdir ; mais, quand toute une famille s’oppose à un mariage, mon ami, la décence veut qu’il se fasse sans éclat, surtout lorsque la mariée est veuve.

— Moi, je veux au contraire afficher un luxe à la Louis XIV, dit Crevel qui depuis quelque temps trouvait le dix-huitième siècle petit. J’ai commandé des voitures neuves ; il y a la voiture de monsieur et celle de madame, deux jolis coupés, une calèche, une berline d’apparat avec un siége superbe qui tressaille comme madame Hulot.

— Ah ! je veux ?… Tu ne serais donc plus mon agneau ? Non, non. Ma biche, tu feras à ma volonté. Nous allons signer notre contrat entre nous, ce soir. Puis, mercredi, nous nous marierons officiellement, comme on se marie réellement, en catimini, selon le mot de ma pauvre mère. Nous irons à pied vêtus simplement à l’église, où nous aurons une messe basse. Nos témoins sont Stidmann, Steinbock, Vignon et Massol, tous gens d’esprit qui se trouveront à la mairie comme par hasard, et qui nous feront le sacrifice d’entendre une messe. Ton collègue nous mariera, par exception, à neuf heures du matin. La messe est à dix heures, nous serons ici à déjeuner à onze heures et demie. J’ai promis à nos convives que l’on ne se lèverait de table que le soir… Nous aurons Bixiou, ton ancien camarade de Birotterie du Tillet, Lousteau, Vernisset, Léon de Lora, Vernou, la fleur des gens d’esprit, qui ne nous sauront pas mariés, nous les mystifierons, nous nous griserons un petit brin, et Lisbeth en sera ; je veux qu’elle apprenne le mariage, Bixiou doit lui faire des propositions et la… la déniaiser.

Pendant deux heures, madame Marneffe débita des folies qui firent faire à Crevel cette réflexion judicieuse : — Comment une femme si gaie pourrait-elle être dépravée ? Folichonne, oui ! mais perverse… allons donc !

— Qu’est-ce que tes enfants ont dit de moi ? demanda Valérie à Crevel dans un moment où elle le tint près d’elle sur sa causeuse, bien des horreurs !

— Ils prétendent, répondit Crevel, que tu aimes Wenceslas d’une façon criminelle, toi ! la vertu même !

— Je crois bien que je l’aime, mon petit Wenceslas ! s’écria