Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/371

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

à mademoiselle Bijou ; mais il est parti, laissant là tout ce qu’il possédait, sans dire un mot, sans qu’on puisse savoir où il est allé. Je ne me suis pas découragée, et j’ai mis à sa poursuite un homme qui déjà croit l’avoir rencontré sur le boulevard Bourdon.

» La pauvre juive tiendra la promesse faite à la chrétienne. Que l’ange prie pour le démon ! c’est ce qui doit arriver quelquefois dans le ciel.

» Je suis, avec un profond respect et pour toujours, votre humble servante,

» Josépha Mirah. »

Maître Hulot d’Ervy n’entendant plus parler de la terrible madame Nourrisson, voyant son beau-père marié, ayant reconquis son beau-frère, revenu sous le toit de la famille, n’éprouvant aucune contrariété de sa nouvelle belle-mère, et trouvant sa mère mieux de jour en jour, se laissait aller à ses travaux politiques et judiciaires, emporté par le courant rapide de la vie parisienne, où les heures comptent pour des journées. Chargé d’un rapport à la Chambre des Députés, il fut obligé, vers la fin de la session, de passer toute une nuit à travailler. Rentré dans son cabinet vers neuf heures, il attendait que son valet de chambre apportât ses flambeaux garnis d’abat-jour, et il pensait à son père. Il se reprochait de laisser la cantatrice occupée de cette recherche, et il se proposait de voir à ce sujet le lendemain monsieur Chapuzot, lorsqu’il aperçut à sa fenêtre, dans la lueur du crépuscule, une sublime tête de vieillard, à crâne jaune, bordé de cheveux blancs.

— Dites, mon cher monsieur, qu’on laisse arriver jusqu’à vous un pauvre ermite venu du désert et chargé de quêter pour la reconstruction d’un saint asile.

Cette vision, qui prenait une voix et qui rappela soudain à l’avocat une prophétie de l’horrible Nourrisson, le fit tressaillir.

— Introduisez ce vieillard, dit-il à son valet de chambre.

— Il empestera le cabinet de monsieur, répondit le domestique, il porte une robe brune qu’il n’a pas renouvelée depuis son départ de Syrie, et il n’a pas de chemise…

— Introduisez ce vieillard, répéta l’avocat.

Le vieillard entra, Victorin examina d’un œil défiant ce soi-disant ermite en pèlerinage, et vit un superbe modèle de ces moines napolitains dont les robes sont sœurs des guenilles du lazzarone, dont les sandales sont les haillons du cuir, comme le moine est lui-même un