Marville et de sa fille. Cette Madeleine, malgré la couperose de son teint, et peut-être à cause de cette couperose et de sa longueur vipérine, s’était mis en tête de devenir madame Pons. Madeleine étala vainement vingt mille francs d’économies aux yeux du vieux célibataire, Pons avait refusé ce bonheur par trop couperosé. Aussi cette Didon d’antichambre, qui voulait devenir la cousine de ses maîtres, jouait-elle les plus méchants tours au pauvre musicien. Madeleine s’écriait très-bien : « — Ah ! voilà le pique-assiette ! » en entendant le bonhomme dans l’escalier et en tâchant d’être entendue par lui. Si elle servait à table, en l’absence du valet de chambre, elle versait peu de vin et beaucoup d’eau dans le verre de sa victime, en lui donnant la tâche difficile de conduire à sa bouche, sans en rien verser, un verre près de déborder. Elle oubliait de servir le bonhomme, et se le faisait dire par la présidente (de quel ton ? … le cousin en rougissait), ou elle lui renversait de la sauce sur ses habits. C’était enfin la guerre de l’inférieur qui se sait impuni, contre un supérieur malheureux.
À la fois femme de charge et femme de chambre, Madeleine avait suivi monsieur et madame Camusot depuis leur mariage. Elle avait vu ses maîtres dans la pénurie de leurs commencements, en province, quand monsieur était juge au tribunal d’Alençon ; elle les avait aidés à vivre lorsque, président au tribunal de Mantes, monsieur Camusot vint à Paris en 1828, où il fut nommé juge d’instruction. Elle appartenait donc trop à la famille pour ne pas avoir des raisons de s’en venger. Ce désir de jouer à l’orgueilleuse et ambitieuse présidente le tour d’être la cousine de monsieur, devait cacher une de ces haines sourdes, engendrée par un de ces graviers qui font les avalanches.
— Madame, voilà votre monsieur Pons, et en spencer encore ! vint dire Madeleine à la présidente, il devrait bien me dire par quel procédé il le conserve depuis vingt-cinq ans !
En entendant un pas d’homme dans le petit salon, qui se trouvait entre son grand salon et sa chambre à coucher, madame Camusot regarda sa fille et haussa les épaules.
— Vous me prévenez toujours avec tant d’intelligence, Madeleine, que je n’ai plus le temps de prendre un parti, dit la présidente.
— Madame, Jean est sorti, j’étais seule, monsieur Pons a sonné, je lui ai ouvert la porte, et, comme il est presque de la maison, je ne pouvais pas l’empêcher de me suivre ; il est là qui se débarrasse de son spencer.