compte. Ce n’est pas toute la fortune de Fritz, il lui reste encore les maisons de son père à Francfort, qui sont estimées un million, et il a déjà loué le grand hôtel de Hollande à un cousin des Graff.
— Fus recartez fodre hami drisdement, répondit Schmucke qui avait écouté Wilhem avec attention ; seriez-fus chaloux de lui ?
— Je suis jaloux, mais c’est du bonheur de Fritz, dit Wilhem. Est-ce là le masque d’un homme satisfait ? J’ai peur de Paris pour lui ; je lui voudrais voir prendre le parti que je prends. L’ancien démon peut se réveiller en lui. De nos deux têtes, ce n’est pas la sienne où il est entré le plus de plomb. Cette toilette, cette lorgnette, tout cela m’inquiète. Il n’a regardé que les lorettes dans la salle. Ah ! si vous saviez comme il est difficile de marier Fritz ; il a en horreur ce qu’on appelle en France faire la cour, et il faudrait le lancer dans la famille, comme en Angleterre on lance un homme dans l’éternité.
Pendant le tumulte qui signale la fin de toutes les premières représentations, la flûte fit son invitation à son chef d’orchestre. Pons accepta joyeusement. Schmucke aperçut alors, pour la première fois depuis trois mois, un sourire sur la face de son ami ; il le ramena rue de Normandie dans un profond silence, car il reconnut à cet éclair de joie la profondeur du mal qui rongeait Pons. Qu’un homme vraiment noble, si désintéressé, si grand par le sentiment, eût de telles faiblesses !… voilà ce qui stupéfiait le stoïcien Schmucke, qui devint horriblement triste, car il sentit la nécessité de renoncer à voir tous les jours son « pon Bons » à table devant lui ! dans l’intérêt du bonheur de Pons ; et il ne savait si ce sacrifice serait possible ; cette idée le rendait fou.
Le fier silence que gardait Pons, réfugié sur le mont Aventin de la rue de Normandie, avait nécessairement frappé la présidente, qui, délivrée de son parasite, s’en tourmentait peu ; elle pensait avec sa charmante fille que le cousin avait compris la plaisanterie de sa petite Lili ; mais il n’en fut pas ainsi du président. Le président Camusot de Marville, petit homme gros, devenu solennel depuis son avancement en la cour, admirait Cicéron, préférait l’Opéra-Comique aux Italiens, comparait les acteurs les uns aux autres, suivait la foule pas à pas, répétait comme de lui tous les articles du journal ministériel, et en opinant, il paraphrasait les idées du conseiller après lequel il parlait. Ce magistrat, suffisam-