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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/472

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sidente écoute comme un oracle. De quel droit exigerais-je le changement des idées et des habitudes de mademoiselle Cécile ? Au lieu d’un père et d’une mère complaisants à ses moindres caprices, elle rencontrera l’égoïsme d’un quadragénaire ; si elle résiste, c’est le quadragénaire qui sera vaincu. J’agis donc en honnête homme, je me retire. D’ailleurs, je désire être entièrement sacrifié, s’il est toutefois nécessaire d’expliquer pourquoi je n’ai fait qu’une visite ici…

— Si tels sont vos motifs, monsieur, dit le futur pair de France, quelque singuliers qu’ils soient, ils sont plausibles…

— Monsieur, ne mettez pas en doute ma sincérité, reprit vivement Brunner en l’interrompant. Si vous connaissez une pauvre fille dans une famille chargée d’enfants, bien élevée néanmoins, sans fortune, comme il s’en trouve beaucoup en France, et que son caractère m’offre des garanties, je l’épouse.

Pendant le silence qui suivit cette déclaration, Frédéric Brunner quitta le grand-père de Cécile, revint saluer poliment le président et la présidente, et se retira. Vivant commentaire du salut de son Werther, Cécile se montra pâle comme une moribonde, elle avait tout écouté, cachée dans la garde-robe de sa mère.

— Refusée !… dit-elle à l’oreille de sa mère.

— Et pourquoi ? demanda la présidente à son beau-père embarrassé.

— Sous le joli prétexte que les filles uniques sont des enfants gâtés, répondit le vieillard. Et il n’a pas tout à fait tort, ajouta-t-il en saisissant cette occasion de blâmer sa belle-fille, qui l’ennuyait fort depuis vingt ans.

— Ma fille en mourra ! vous l’aurez tuée !… dit la présidente à Pons en retenant sa fille qui trouva joli de justifier ces paroles en se laissant aller dans les bras de sa mère.

Le président et sa femme traînèrent Cécile dans un fauteuil, où elle acheva de s’évanouir. Le grand-père sonna les domestiques.

— J’aperçois la trame ourdie par monsieur, dit la mère furieuse en désignant le pauvre Pons.

Pons se dressa comme s’il avait entendu retentir à ses oreilles la trompette du jugement dernier.

— Monsieur, reprit la présidente dont les yeux furent comme deux fontaines de bile verte, monsieur a voulu répondre à une innocente plaisanterie par une injure. À qui fera-t-on croire que cet Allemand soit dans son bon sens ? Ou il est complice d’une atroce