Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/510

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seur d’or. L’un et l’autre devaient ignorer que le bonhomme Pons et Magus avaient mesuré souvent leurs griffes. En effet, ces deux amateurs féroces s’enviaient l’un l’autre. Aussi le vieux Juif venait-il d’avoir comme un éblouissement intérieur. Jamais il n’espérait pouvoir entrer dans un sérail si bien gardé. Le Musée-Pons était le seul à Paris qui pût rivaliser avec le Musée-Magus. Le Juif avait eu, vingt ans plus tard que Pons, la même idée ; mais, en sa qualité de marchand amateur, le Musée-Pons lui resta fermé de même qu’à Dusommerard. Pons et Magus avaient au cœur la même jalousie. Ni l’un ni l’autre ils n’aimaient cette célébrité que recherchent ordinairement ceux qui possèdent des cabinets. Pouvoir examiner la magnifique collection du pauvre musicien, c’était, pour Élie Magus, le même bonheur que celui d’un amateur de femmes parvenant à se glisser dans le boudoir d’une belle maîtresse que lui cache un ami. Le grand respect que témoignait Rémonencq à ce bizarre personnage et le prestige qu’exerce tout pouvoir réel, même mystérieux, rendirent la portière obéissante et souple. La Cibot perdit le ton autocratique avec lequel elle se conduisait dans sa loge avec les locataires et ses deux messieurs, elle accepta les conditions de Magus et promit de l’introduire dans le Musée-Pons, le jour même. C’était amener l’ennemi dans le cœur de la place, plonger un poignard au cœur de Pons qui, depuis dix ans, interdisait à la Cibot de laisser pénétrer qui que ce fût chez lui, qui prenait toujours sur lui ses clefs, et à qui la Cibot avait obéi, tant qu’elle avait partagé les opinions de Schmucke en fait de bric-à-brac. En effet, le bon Schmucke, en traitant ces magnificences de primporions et déplorant la manie de Pons, avait inculqué son mépris pour ces antiquailles à la portière et garanti le Musée-Pons de toute invasion pendant fort longtemps.

Depuis que Pons était alité, Schmucke le remplaçait au théâtre et dans les pensionnats. Le pauvre Allemand, qui ne voyait son ami que le matin et à dîner, tâchait de suffire à tout en conservant leur commune clientèle ; mais toutes ses forces étaient absorbées par cette tâche, tant la douleur l’accablait. En voyant ce pauvre homme si triste, les écolières et les gens du théâtre, tous instruits par lui de la maladie de Pons, lui en demandaient des nouvelles, et le chagrin du pianiste était si grand, qu’il obtenait des indifférents la même grimace de sensibilité qu’on accorde à Paris aux plus grandes catastrophes. Le principe même de la vie du bon Allemand était at-