Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/554

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de ses biblots, et si j’avais su ce qu’il m’a dit de ses amours, je serais sans inquiétude aujourd’hui…

— Enfin, reprit Fraisier, allez toujours ! Les moribonds ont de singulières fantaisies, ma chère madame Cibot, ils trompent bien des espérances. Qu’il teste, et nous verrons après. Mais, avant tout, il s’agit d’évaluer les objets dont se compose la succession. Ainsi, mettez-moi en rapport avec le Juif, avec ce Rémonencq, ils nous seront très utiles… Ayez toute confiance en moi, je suis tout à vous. Je suis l’ami de mon client, à pendre et à dépendre, quand il est le mien. Ami ou ennemi, tel est mon caractère.

— Eh bien ! je serai toute à vous, dit la Cibot, et, quant aux honoraires, monsieur Poulain…

— Ne parlons pas de cela, dit Fraisier. Songez à maintenir Poulain au chevet du malade ; le docteur est un des cœurs les plus honnêtes, les plus purs que je connaisse, et il nous faut là, voyez-vous, un homme sûr… Poulain vaut mieux que moi, je suis devenu méchant.

— Vous en avez l’air, dit la Cibot, mais moi je me fierais à vous…

— Et vous auriez raison ! dit-il… Venez me voir à chaque incident, et allez… Vous êtes une femme d’esprit, tout ira bien.

— Adieu, mon cher monsieur Fraisier, bonne santé… votre servante.

Fraisier reconduisit la cliente jusqu’à la porte, et là, comme elle la veille avec le docteur, il lui dit son dernier mot.

— Si vous pouviez faire réclamer mes conseils par monsieur Pons, ce serait un grand pas de fait…

— Je tâcherai, répondit la Cibot.

— Ma grosse mère, reprit Fraisier en faisant rentrer la Cibot jusque dans son cabinet, je connais beaucoup monsieur Trognon, notaire, c’est le notaire du quartier. Si monsieur Pons n’a pas de notaire, parlez-lui de celui-là… faites-lui prendre.

— Compris, répondit la Cibot.

En se retirant, la portière entendit le frôlement d’une robe et le bruit d’un pas pesant qui voulait se rendre léger. Une fois seule et dans la rue, la portière, après avoir marché pendant un certain temps, recouvra sa liberté d’esprit. Quoiqu’elle restât sous l’influence de cette conférence, et qu’elle eût toujours une grande frayeur de l’échafaud, de la justice, des juges, elle prit une réso-