Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/641

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été bien aimés dans leur vie pour qu’à Paris, où tout le monde voudrait trouver une vingt-cinquième heure à chaque journée, on suive un parent ou un ami jusqu’au cimetière. Mais les cochers perdraient leur pourboire, s’ils ne faisaient pas leur besogne. Aussi, pleines ou vides, les voitures vont-elles à l’église, au cimetière, et reviennent-elles à la maison mortuaire, où les cochers demandent un pourboire. On ne se figure pas le nombre des gens pour qui la mort est un abreuvoir. Le bas clergé de l’Église, les pauvres, les croque-morts, les cochers, les fossoyeurs, ces natures spongieuses se retirent gonflées en se plongeant dans un corbillard. De l’église, où l’héritier à sa sortie fut assailli par une nuée de pauvres, aussitôt réprimée par le suisse, jusqu’au Père-Lachaise, le pauvre Schmucke alla comme les criminels allaient du Palais à la place de Grève. Il menait son propre convoi, tenant dans sa main la main du garçon Topinard, le seul homme qui eût dans le cœur un vrai regret de la mort de Pons. Topinard, excessivement touché de l’honneur qu’on lui avait fait en lui confiant un des cordons du poêle, et content d’aller en voiture, possesseur d’une paire de gants, commençait à entrevoir dans le convoi de Pons une des grandes journées de sa vie. Abîmé de douleur, soutenu par le contact de cette main à laquelle répondait un cœur, Schmucke se laissait rouler absolument comme ces malheureux veaux conduits en charrette à l’abattoir. Sur le devant de la voiture se tenaient Fraisier et Villemot. Or, ceux qui ont eu le malheur d’accompagner beaucoup des leurs au champ du repos, savent que toute hypocrisie cesse en voiture durant le trajet, qui, souvent, est fort long, de l’église au cimetière de l’Est, celui des cimetières parisiens où se sont donné rendez-vous toutes les vanités, tous les luxes, et si riche en monuments somptueux. Les indifférents commencent la conversation, et les gens les plus tristes finissent par les écouter et se distraire.

— Monsieur le président était déjà parti pour l’audience, disait Fraisier à Villemot, et je n’ai pas trouvé nécessaire d’aller l’arracher à ses occupations au Palais, il serait toujours venu trop tard. Comme il est l’héritier naturel et légal, mais qu’il est déshérité au profit de monsieur Schmucke, j’ai pensé qu’il suffisait à son fondé de pouvoir d’être ici…

Topinard prêta l’oreille.

— Qu’est-ce donc que ce drôle qui tenait le quatrième gland ? demanda Fraisier à Villemot.