Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/65

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sentant les sucreries et lui voyant manger tout avec plaisir. Voyez, en dînant chez ma cousine, j’ai pensé à vous…

— Je sais, dit-il en lançant sur Lisbeth un regard à la fois caressant et plaintif, que, sans vous, je ne vivrais plus depuis longtemps ; mais, ma chère demoiselle, les artistes ont besoin de distractions…

— Ah ! nous y voilà !… s’écria-t-elle en l’interrompant, en se mettant les poings sur les hanches et arrêtant sur lui des yeux flamboyants. Vous voulez aller perdre votre santé dans les infâmies de Paris, comme tant d’ouvriers qui finissent par aller mourir à l’hôpital ! Non, non, faites-vous une fortune, et quand vous aurez des rentes, vous vous amuserez, mon enfant, vous aurez alors de quoi payer les médecins et les plaisirs, libertin que vous êtes.

Wenceslas Steinbock, en recevant cette bordée accompagnée de regards qui le pénétraient d’une flamme magnétique, baissa la tête. Si le médisant le plus mordant eût pu voir le début de cette scène, il aurait déjà reconnu la fausseté des calomnies lancées par les époux Olivier sur la demoiselle Fischer. Tout, dans l’accent, dans les gestes et dans les regards de ces deux êtres, accusait la pureté de leur vie secrète. La vieille fille déployait la tendresse d’une brutale, mais réelle maternité. Le jeune homme subissait comme un fils respectueux la tyrannie d’une mère. Cette alliance bizarre paraissait être le résultat d’une volonté puissante agissant incessamment sur un caractère faible, sur cette inconsistance particulière aux Slaves qui, tout en leur laissant un courage héroïque sur les champs de bataille, leur donne un incroyable décousu dans la conduite, une mollesse morale dont les causes devraient occuper les physiologistes, car les physiologistes sont à la politique ce que les entomologistes sont à l’agriculture.

— Et si je meurs avant d’être riche ? demanda mélancoliquement Wenceslas.

— Mourir ?… s’écria la vieille fille. Oh ! je ne vous laisserai point mourir. J’ai de la vie pour deux, et je vous infuserais mon sang, s’il le fallait.

En entendant cette exclamation violente et naïve, les larmes mouillèrent les paupières de Steinbock.

— Ne vous attristez pas, mon petit Wenceslas, reprit Lisbeth émue. Tenez, ma cousine Hortense a trouvé, je crois, votre cachet assez gentil. Allez, je vous ferai bien vendre votre groupe en bronze,