Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 20.djvu/23

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et attournée comme pour faire honneur à ung prince de l’Empire. Aussy, le fripon, béatifié par la sacro-saincte beaulté d’Impéria, cogneut-il que empereur, burgrave, voire ung cardinal en train d’estre esleu pape, n’auroyt raison ce soir contre luy, petit prebstre, qui, dans sa bougette, ne logeoyt que le diable et l’amour. Il trencha du seigneur, et se iacta, en la saluant avecques une courtoisie qui n’estoyt point du tout sotte ; et pour lors, la dame luy dit en le festoyant par ung cuisant resguard : — Mettez-vous près de moy, que ie voye si vous estes changé d’hier.

— Oh oui !… fit-il.

— Et d’où ?… dit-elle.

— Hier, reprind le matois, ie vous aimoys !… Ores, ce soir, nous nous aimons ; et, de paouvre souffreteux, suis devenu plus riche qu’ung roy.

— Oh ! petit ! petit ! s’escria-t-elle ioyeulsement, oui, tu es changé, car, de ieune prebstre, bien vois-je que tu es devenu vieulx diable.

Et ils s’accotèrent ensemble devant ung bon feu, qui alloyt espandant esgalement partout leur ivresse. Ils restoyent tousiours prests à mangier, veu qu’ils ne pensoyent qu’à se pigeonner des yeulx, et ne touchoyent point aux plats… Comme ils s’estoyent enfin establis dans leur aise et contentement, il se fit ung bruit dezagréable à l’huys de Madame, comme si gens s’y battoyent en criant.

— Madame, dit la meschinette hastée, en vécy bien d’un aultre !…

— Quoi ! s’escria-t-elle d’un air hautain comme tyran maugréant d’estre interrompu.

— L’évesque de Coire veut parler à vous…

— Que le diable l’estrille ! respondit-elle en resguardant Philippe de gentille fasson.

— Madame, il a veu la lumière par les fissures et faict grant tapage…

— Dis-luy que i’ay la fiebvre, et point ne mentiras, pour ce que ie suis malade de ce petit prebstre qui me frétille dans la cervelle.

Mais comme elle achevoyt son dire, en pressant dévotieusement la main de Philippe, qui bouilloyt dans sa peau, le gros évesque de Coire se monstra tout poussif et cholère. Ses estaffiers le suivoyent portant une truite canonicquement saumonée, fresche tirée hors du Rhin, gizant dans ung plat d’or ; puis des espices, con-