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LES RIVALITÉS: LE CABINET DES ANTIQUES.

qu’un septuagénaire irait faire à la cour, quelle charge, quel emploi pouvait-il y exercer ? Le noble et fier d’Esgrignon se contenta donc, et dut se contenter du triomphe de la Monarchie et de la Religion, en attendant les résultats de cette victoire inespérée, disputée, qui fut simplement un armistice. Il continuait donc alors à trôner dans son salon, si bien nommé le Cabinet des Antiques. Sous la Restauration, ce surnom de douce moquerie s’envenima lorsque les vaincus de 1793 se trouvèrent les vainqueurs.

Cette ville ne fut pas plus préservée que la plupart des autres villes de province des haines et des rivalités engendrées par l’esprit de parti. Contre l’attente générale, du Croisier avait épousé la vieille fille riche qui l’avait refusé d’abord, et quoiqu’il eût pour rival auprès d’elle l’enfant gâté de l’aristocratie de la ville, un certain chevalier dont le nom illustre sera suffisamment caché en ne le désignant, suivant un vieil usage d’autrefois suivi par la ville, que par son titre ; car il était là le Chevalier comme à la cour le comte d’Artois était Monsieur. Non-seulement ce mariage avait engendré l’une de ces guerres à toutes armes comme il s’en fait en province, mais il avait encore accéléré cette séparation entre la haute et la petite aristocratie, entre les éléments bourgeois et les éléments nobles réunis un moment sous la pression de la grande autorité napoléonienne ; division subite qui fit tant de mal à notre pays. En France, ce qu’il y a de plus national, est la vanité. La masse des vanités blessées y a donné soif d’égalité ; tandis que, plus tard, les plus ardents novateurs trouveront l’égalité impossible. Les Royalistes piquèrent au cœur les Libéraux dans les endroits les plus sensibles. En province surtout, les deux partis se prêtèrent réciproquement des horreurs et se calomnièrent honteusement. On commit alors en politique les actions les plus noires pour attirer à soi l’opinion publique, pour capter les voix de ce parterre imbécile qui jette ses bras aux gens assez habiles pour les armer. Ces luttes s’y formulèrent en quelques individus. Ces individus, qui se haïssaient comme ennemis politiques, devinrent aussitôt ennemis particuliers. En province, il est difficile de ne pas se prendre corps à corps, à propos des questions ou des intérêts qui, dans la capitale, apparaissent sous leurs formes générales, théoriques, et qui dès lors grandissent assez les champions pour que monsieur Laffitte, par exemple, ou Casimir Périer respectent l’homme dans monsieur de Villèle ou dans monsieur de Peyronnet. Monsieur Laffitte,