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LES RIVALITÉS : LA VIEILLE FILLE.

de gueules à cinq mâcles d’or aboutées en croix. L’écu entier sommé d’un chef de sable à la croix pallée d’argent. Pour timbre, le casque de chevalier. Pour devise : Valeo. Avec ces nobles armes, il devait et pouvait monter dans tous les carrosses royaux du monde.

Beaucoup de gens ont envié la douce existence de ce vieux garçon, pleine de parties de boston, de trictrac, de reversi, de wisk et de piquet bien jouées, de dîners bien digérés, de prises de tabac humées avec grâce, de tranquilles promenades. Presque tout Alençon croyait cette vie exempte d’ambition et d’intérêts graves ; mais aucun homme n’a une vie aussi simple que ses envieux la lui font. Vous découvrirez dans les villages les plus oubliés des mollusques humains, des rotifères en apparence morts, qui ont la passion des lépidoptères ou de la conchyliologie, et qui se donnent des maux infinis pour je ne sais quels papillons ou pour la concha Veneris. Non-seulement le chevalier avait ses coquillages, mais encore il nourrissait un ambitieux désir poursuivi avec une profondeur digne de Sixte-Quint : il voulait se marier avec une vieille fille riche, sans doute dans l’intention de s’en faire un marchepied pour aborder les sphères élevées de la cour. Là était le secret de sa royale tenue et de son séjour à Alençon.

Un mercredi, de grand matin, vers le milieu du printemps de l’année 16, c’était sa façon de parler, au moment où le chevalier passait sa robe de chambre en vieux damas vert à fleurs, il entendit, malgré son coton dans l’oreille, le pas léger d’une jeune fille qui montait l’escalier. Bientôt trois coups furent discrètement frappés à sa porte ; puis, sans attendre la réponse, une belle personne se coula chez le vieux garçon.

— Ah ! c’est toi, Suzanne ? dit le chevalier de Valois sans discontinuer son opération commencée qui consistait à repasser la lame de son rasoir sur un cuir. Que viens-tu faire ici, cher petit bijou d’espièglerie ?

— Je viens vous dire une chose qui vous fera peut-être autant de plaisir que de peine.

— S’agit-il de Césarine ?

— Je m’embarrasse bien de votre Césarine ! dit-elle d’un air à la fois mutin, grave et insouciant.

Cette charmante Suzanne, dont la comique aventure devait exercer une si grande influence sur la destinée des principaux person-