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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

dre le Juge d’Instruction, monsieur Camusot qui, sur le réquisitoire de Sauvager, avait décerné le mandat d’arrêt si promptement exécuté. Camusot était un homme d’environ trente ans, petit, déjà gras, blond, à chair molle, à teint livide comme celui de presque tous les magistrats qui vivent enfermés dans leurs cabinets ou leurs salles d’audience. Il avait de petits yeux jaune clair, pleins de cette défiance qui passe pour de la ruse.

Madame Camusot regarda son mari comme pour lui dire : — N’avais-je pas raison ?

— Ainsi l’affaire aura lieu ? dit le Juge d’Instruction.

— En douteriez-vous ? reprit du Coudrai. Tout est fini puisqu’on tient le comte.

— Il y a le Jury, dit monsieur Camusot. Pour cette affaire, monsieur le Préfet saura le composer de manière que avec les récusations ordonnées au Parquet et celles de l’accusé, il ne reste que des personnes favorables à l’acquittement. Mon avis serait de transiger, dit-il en s’adressant à du Croisier.

— Transiger, dit le Président, mais la Justice est saisie.

— Acquitté ou condamné, le comte d’Esgrignon n’en sera pas moins déshonoré, dit le Substitut.

— Je suis partie civile, dit du Croisier, j’aurai Dupin l’aîné. Nous verrons comment la maison d’Esgrignon se tirera de ses griffes.

— Elle saura se défendre et choisir un avocat à Paris, elle vous opposera Berryer, dit madame Camusot. A bon chat, bon rat.

Du Croisier, monsieur Sauvager et le Président du Ronceret regardèrent le Juge d’Instruction en proie à une même pensée. Le ton et la manière avec lesquels la jeune femme jeta son proverbe à la face des huit personnes qui complotaient la perte de la maison d’Esgrignon leur causèrent des émotions que chacune d’elles dissimula comme savent dissimuler les gens de province, habitués par leur cohérence continue aux ruses de la vie monacale. La petite madame Camusot remarqua le changement des visages qui se composèrent dès que l’on eut flairé l’opposition probable du juge aux desseins de du Croisier. En voyant son mari dévoiler le fond de sa pensée, elle avait voulu sonder la profondeur de ces haines, et deviner par quel intérêt du Croisier s’était attaché le premier Substitut qui avait agi si précipitamment et si contrairement aux vues du Pouvoir.