Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/227

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
207
LES RIVALITÉS: LE CABINET DES ANTIQUES.

mais Waterloo, et Chesnel voulait vaincre les Prussiens en les voyant arrivés.

— Madame, vous de qui j’ai fait les affaires pendant vingt ans, vous l’honneur de la Bourgeoisie, comme les d’Esgrignon sont l’honneur de la Noblesse de cette province, sachez qu’il dépend maintenant de vous seule de sauver la maison d’Esgrignon. Maintenant répondez ? laisserez-vous déshonorer les mânes de votre oncle, les d’Esgrignon, le pauvre Chesnel ? Voulez-vous tuer mademoiselle Armande qui pleure ? Voulez-vous racheter vos torts en réjouissant vos ancêtres, les intendants des ducs d’Alençon, en consolant les mânes de notre cher abbé qui, s’il pouvait sortir de son cercueil, vous commanderait de faire ce que je vous demande à genoux ?

— Quoi ? s’écria madame du Croisier.

— Hé ! bien, voici les cent mille écus, dit-il en tirant de sa poche les paquets de billets de banque. Acceptez-les, tout sera fini.

— S’il ne s’agit que de cela, reprit-elle, et s’il n’en peut rien résulter de mauvais pour mon mari…

— Rien que de bon, dit Chesnel. Vous lui évitez les vengeances éternelles de l’Enfer au prix d’un léger désappointement ici-bas.

— Il ne sera pas compromis ? demanda-t-elle en regardant Chesnel.

Chesnel lut alors dans le fond de l’âme de cette pauvre femme. Madame du Croisier hésitait entre deux religions, entre les commandements que l’Église a tracés aux épouses et ses devoirs envers le Trône et l’Autel : elle trouvait son mari blâmable, et n’osait le blâmer, elle aurait voulu pouvoir sauver les d’Esgrignon, et ne voulait rien faire contre les intérêts de son mari.

— En rien, dit Chesnel, votre vieux notaire vous le jure sur les saints Évangiles…

Chesnel n’avait plus que son salut éternel à offrir à la maison d’Esgrignon, il le risqua en commettant un horrible mensonge ; mais il fallait abuser madame du Croisier ou périr. Aussitôt il rédigea lui-même et dicta à madame du Croisier un reçu de cent mille écus daté de cinq jours avant la fatale lettre de change, à une époque où il se rappela une absence faite par du Croisier qui était allé dans les biens de sa femme y ordonner des améliorations.