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LE LYS DE LA VALLÉE.

contre cette injustice ; la courtisanerie, en germe chez les enfants, leur conseillait-elle de contribuer aux persécutions qui m’affligeaient pour se ménager les bonnes grâces d’une mère également redoutée par eux ? était-ce un effet de leur penchant à l’imitation ? était-ce besoin d’essayer leurs forces ou manque de pitié ? Peut-être ces causes réunies me privèrent-elles des douceurs de la fraternité. Déjà déshérité de toute affection, je ne pouvais rien aimer et la nature m’avait fait aimant ! Un ange recueille-t-il les soupirs de cette sensibilité sans cesse rebutée ? Si dans quelques âmes les sentiments méconnus tournent en haine, dans la mienne ils se concentrèrent et s’y creusèrent un lit d’où plus tard ils jaillirent sur ma vie. Suivant les caractères, l’habitude de trembler relâche les fibres, engendre la crainte et la crainte oblige à toujours céder. De là vient une faiblesse qui abâtardit l’homme et lui communique je ne sais quoi d’esclave. Mais ces continuelles tourmentes m’habituèrent à déployer une force qui s’accrut par son exercice et prédisposa mon âme aux résistances morales. Attendant toujours une douleur nouvelle, comme les martyrs attendaient un nouveau coup, tout mon être dut exprimer une résignation morne sous laquelle les grâces et les mouvements de l’enfance furent étouffés, attitude qui passa pour un symptôme d’idiotie et justifia les sinistres pronostics de ma mère. La certitude de ces injustices excita prématurément dans mon âme la fierté, ce fruit de la raison qui sans doute arrêta les mauvais penchants qu’une semblable éducation encourageait. Quoique délaissé par ma mère, j’étais parfois l’objet de ses scrupules, parfois elle parlait de mon instruction et manifestait le désir de s’en occuper ; il me passait alors des frissons horribles en songeant aux déchirements que me causerait un contact journalier avec elle. Je bénissais mon abandon, et me trouvais heureux de pouvoir rester dans le jardin à jouer avec des cailloux, à observer des insectes, à regarder le bleu du firmament. Quoique l’isolement dût me porter à la rêverie, mon goût pour les contemplations vint d’une aventure qui vous peindra mes premiers malheurs. Il était si peu question de moi que souvent la gouvernante oubliait de me faire coucher. Un soir, tranquillement blotti sous un figuier, je regardais une étoile avec cette passion qui saisit les enfants, et à laquelle ma précoce mélancolie ajoutait une sorte d’intelligence sentimentale. Mes sœurs s’amusaient et criaient, j’entendais leur lointain tapage comme un accompagnement à mes idées. Le bruit