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LE LYS DE LA VALLÉE.

sortir de mon apathie. Ma mère décida que j’irais passer quelques jours à Frapesle, château situé sur l’Indre entre Montbazon et Azay-le-Rideau chez l’un de ses amis, à qui sans doute elle donna des instructions secrètes. Le jour où j’eus ainsi la clef des champs, j’avais si drument nagé dans l’océan de l’amour que je l’avais traversé. J’ignorais le nom de mon inconnue, comment la désigner, où la trouver ? d’ailleurs, à qui pouvais-je parler d’elle ? Mon caractère timide augmentait encore les craintes inexpliquées qui s’emparent des jeunes cœurs au début de l’amour, et me faisait commencer par la mélancolie qui termine les passions sans espoir. Je ne demandais pas mieux que d’aller, venir, courir à travers champs. Avec ce courage d’enfant qui ne doute de rien et comporte je ne sais quoi de chevaleresque, je me proposais de fouiller tous les châteaux de la Touraine, en y voyageant à pied, en me disant à chaque jolie tourelle : — C’est là !

Donc, un jeudi matin je sortis de Tours par la barrière Saint-Eloy, je traversai les ponts Saint-Sauveur, j’arrivai dans Poncher en levant le nez à chaque maison, et gagnai la route de Chinon. Pour la première fois de ma vie, je pouvais m’arrêter sous un arbre, marcher lentement ou vite à mon gré sans être questionné par personne. Pour un pauvre être écrasé par les différents despotismes qui, peu ou prou, pèsent sur toutes les jeunesses, le premier usage du libre arbitre, exercé même sur des riens, apportait à l’âme je ne sais quel épanouissement. Beaucoup de raisons se réunirent pour faire de ce jour une fête pleine d’enchantements. Dans mon enfance, mes promenades ne m’avaient pas conduit à plus d’une lieue hors la ville. Mes courses aux environs de Pont-le-Voy, ni celles que je fis dans Paris, ne m’avaient gâté sur les beautés de la nature champêtre. Néanmoins il me restait, des premiers souvenirs de ma vie, le sentiment du beau qui respire dans le paysage de Tours avec lequel je m’étais familiarisé. Quoique complétement neuf à la poésie des sites, j’étais donc exigeant à mon insu, comme ceux qui sans avoir la pratique d’un art en imaginent tout d’abord l’idéal. Pour aller au château de Frapesle, les gens à pied ou à cheval abrègent la route en passant par les landes dites de Charlemagne, terres en friche, situées au sommet du plateau qui sépare le bassin du Cher et celui de l’Indre, et où mène un chemin de traverse que l’on prend à Champy. Ces landes plates et sablonneuses, qui vous attristent durant une lieue environ, joignent par un bouquet de bois le chemin de